Chapitre 1
Aspen s’étira comme un chat avant d’ouvrir les yeux, profitant des rayons du soleil qui réchauffaient sa nouvelle chambre dans laquelle s’entassaient encore les cartons de son récent déménagement. Elle tenta d’entrouvrir un œil mais la clarté l’agressa. Elle tira le drap au-dessus de sa tête et réitéra l’expérience. Cette fois, ce fut bien mieux. Progressivement, elle laissa le drap glisser sur son visage afin de s’accoutumer à la lumière très crue du jour.
— Bon sang, mais quelle heure est-il ? grogna-t-elle en avisant sa table de nuit dépourvue de radio-réveil.
Elle attrapa son smartphone posé dessus et constata avec effroi que dix heures approchaient.
— Oh bordel, non, non, non…
Elle repoussa les couvertures et fut sur ses pieds en deux secondes. Elle se dirigea vers les cartons et farfouilla dans celui qui renfermait ses vêtements. Elle chopa un short en jeans et un tee-shirt illustré d’un doigt d’honneur qu’elle relâcha aussitôt. Impossible de porter ça aujourd’hui, son grand-père ne lui pardonnerait jamais. Elle fouilla dans le tas jusqu’à trouver un haut potable et surtout pas trop froissé. Elle devait s’occuper du rangement et urgemment si elle ne voulait pas ressembler à une souillon. Sa tenue et sa lingerie en main, elle fila sous la douche. D’ordinaire, Aspen restait longuement sous le jet et planifiait sa journée, cette fois, elle n’avait pas le temps de traîner, hors de question ! À midi, son grand-père et elle étaient attendus aux festivités que la ville organisait à l’occasion du Mémorial Day et arriver en retard était proscrit.
Moins de dix minutes plus tard, elle quitta la salle de bains, ouvrit sa chambre, mais impossible de placer un pied à l’extérieur, car Bear lui sauta dessus. Il l'accueillit en mettant ses deux pattes avant sur ses épaules, la griffant au passage.
Bear, un magnifique doberman de quatre ans au pelage noir et feu qui appartenait jadis à son grand-père. Malheureusement, il ne pouvait plus s’en occuper. Il résidait désormais en maison de retraite et les animaux n’étaient pas admis.
Aspen n’avait pas hésité une seule seconde à recueillir ce molosse au nom attendrissant qui contrastait avec sa carrure, mais pas avec son comportement, car oui, Bear était un vrai nounours. Adorable et très calme. Un amour de chien qui ne lui posait aucun souci tant il était docile.
— Allez mon beau, si on ne veut pas que le général se fâche, nous devons nous activer, lui dit-elle tout en le caressant.
Elle le repoussa gentiment et regagna la cuisine où elle avala un petit déjeuner ne contenant que des glucides. Des barres de céréales, du chocolat et un verre de jus de fruits. Ses fesses la remercieraient ou pas. Aspen, assez sportive, n’avait aucun scrupule à manger des cochonneries à longueur de temps. La cuisine et elle, un match impossible. Elle essayait mais cramait la moindre chose qu’elle tentait de préparer, même des pâtes, elle arrivait à les brûler. Pourquoi ? Eh bien, parce qu’elle était du genre à faire dix milles choses en même temps et oublier son repas sur le feu. Bref, elle ne tentait même plus, désormais, c’était plats tout prêts à réchauffer au micro-ondes, ainsi aucun risque de mettre le feu à la maison de cette façon.
Elle abandonna son verre dans l’évier, fila se laver les dents, Bear sur ses talons, elle était enfin prête pour ce jour sacré qui honorait ses morts au combat et qui annonçait aussi un week-end de trois jours. Aspen harnacha le dob, heureuse d’aller retrouver son papy. Ils quittèrent ensuite la petite maison qu’elle louait depuis une semaine. Son déménagement, elle le devait à sa récente embauche dans une importante société d’assurance située à Newark non loin de son quartier. Elle pouvait s’y rendre à pied sans aucun problème, une aubaine pour elle qui détestait conduire. Cette ville, elle la connaissait plutôt bien puisqu’elle y avait grandi.
Bear grimpa à l’arrière de sa voiture et s’étala de tout son long sur la banquette avant qu’elle ne l’attache avec la ceinture. Une fois l’animal en sécurité, elle prit place derrière le volant et inspira un grand coup.
— Bon, cette fois Bear, je te promets de ne pas commettre d’impair.
Le doberman émit un couinement, n’en croyant rien. Sa maîtresse conduisait comme un manche. Ses rétroviseurs tenaient avec du scotch et les pare-chocs avec du fil de fer. Aspen était un chauffard dans toute sa splendeur. La preuve, en sortant la voiture de l’allée, elle accrocha la poubelle qui claqua contre la carrosserie avant de se déverser sur le sol. Bear gémit à nouveau.
— Oui bon c’était qu’une poubelle ! D’ailleurs, elle ne se trouvait pas là hier, hein ? Ok elle y était, mais je n’ai rien cassé c’est l’essentiel, enfin, je ne crois pas, releva-t-elle en se tournant pour contempler Bear qui souffla.
Après ça, elle tenta de conduire prudemment.
— Ducon, les clignotants ce n’est pas en option sur ta bagnole flambant neuve, hurla-t-elle.
En plus d’être mauvaise conductrice, c’était une râleuse.
— Putain, mais il avance lui ! C’est pas possible de rouler de cette manière, non, mais regarde Bear ! Il freine sans arrêt, ragea-t-elle.
Elle donna un coup de klaxon et approcha jusqu’à frôler le pare-chocs devant elle.
— Bon sang, à ce rythme on va arriver au bout de la ville à la tombée de la nuit !
Elle pesta jusqu’à ce qu’elle stationne sa voiture sur l’arrêt minute situé devant la maison de retraite. Elle laissa le moteur tourner, descendit et aperçut à travers les portes vitrées, son grand-père accompagné d’une soignante. Elle se précipita pour le rejoindre. Il portait son plus beau costume. Ses médailles qu’il arborait avec fierté étaient accrochées à sa veste.
— Bonjour GG, prêt pour l’aventure ?
— Je ne manquerais ça pour rien au monde Aspen, lui répondit-il tout joyeux.
— Je prends le relais, annonça-t-elle à l’infirmière qui tenait son aïeul par le coude.
Elle la remplaça et le duo avança lentement jusqu’à la voiture où Aspen aida le général Gaspar à s’installer. Avant d’attacher sa ceinture, il pivota légèrement et salua son chien.
— Salut, mon garçon, tu me manques. J’espère que tu prends soin de ma petite-fille, hein ? Pas de bêtises. Alors, dis-moi, la conduite, elle s’améliore ?
L’animal couina de nouveau.
— Ouais, c’est bien ce qui me semblait.
GG clipsa la ceinture et Aspen remonta dans la voiture.
— Tout le monde est bien attaché ? Oui, alors en route la troupe.
— Conduis prudemment Aspen, mon cœur n’est plus tout jeune, tu sais.
— Oui, oui tu me connais GG.
— Oui et c’est bien ça qui me fait peur jeune fille.
— Oh oh, entre nous, c’est quand même toi qui m’as donné des leçons hein… donc si tu trouves que je conduis mal c’est que tu n’as pas été un bon formateur.
— Aspen, cria son grand-père alors qu’ils quittèrent la zone de stationnement.
Elle appuya de toutes ses forces sur la pédale de frein.
— Bon dieu, tu as manqué de percuter l’arbre !
— Mais non. Regarde, tout va bien. Et puis zut quoi ! Il n’a jamais été là cet arbre si ?
Gaspar dépité ferma les yeux et pria pour qu’ils arrivent au lieu de rendez-vous, le Military Park sans créer le moindre accident. Chose qui était loin d’être gagnée. Finalement, le trajet se passa relativement bien. Relativement, car Aspen s’était agacée par trois fois et n’avait pas respecté un stop. Un vrai danger public.
— Et voilà, nous y sommes mon général.
Gaspar, ancien militaire âgé de quatre-vingts ans avait défendu son pays dans plusieurs régions du monde. Des horreurs, le GG d’Aspen en avait vu et vécu, mais il ne lui avait jamais rien raconté. Il avait souffert, trop, beaucoup trop, malgré tout, il était resté un homme doux et patient qui lui avait enseigné des tas de choses utiles et parfois inutiles selon elle.
Aspen se gara de travers, mordant sur les lignes de stationnement. Elle ne tenta même pas de redresser le véhicule, elle savait d’avance que c’était peine perdue. Elle s’occupa de Bear en priorité et lui ordonna de ne pas bouger. Docile, l'animal l'écouta, il s’assit et attendit sagement à côté de la voiture la prochaine consigne. Elle aida ensuite son grand-père à quitter l’habitacle. Équipé de sa canne et du soutien de sa petite-fille qu’il adorait, il avança jusqu’aux chapiteaux qui abritaient jeux pour enfants, nourritures et boissons. En chemin, il rencontra d’anciens soldats qu’il avait dirigés et échangea quelques mots puis Aspen le mena à la table d’honneur où les plus anciens combattants avaient leur place. Le Mémorial Day rendait hommage à tous les soldats américains morts sur le champ d’honneur lors de tous les conflits à travers le monde, mais ce jour férié lançait aussi la saison estivale en Amérique.
Chapitre 2
Alejandro, accompagné de Baby sa femelle husky adoptée il y a quinze mois au refuge de Dwaine, son meilleur ami, déambulaient dans les rues de Newark pour se rendre au Military park. Il suivait la parade qui défilait pour rendre hommage et se souvenir de ses camarades tombés pour le pays.
Il se demandait encore pourquoi il avait accepté l'invitation de Dwaine. Il ne se sentait pas à sa place au milieu de ses collègues et détestait l’attention que la foule leur apportait. Les gens assistant à la manifestation les applaudissaient et les remerciaient comme s’ils étaient des héros. Ils l’étaient sûrement pour eux, mais Alejandro ne se voyait pas de cette façon. Un assassin, voilà comment il se désignait.
Sergent au moment des faits, il avait failli à son devoir. Il avait envoyé l’équipe A dans un guet-apens et personne n’avait survécu. Lui, s’était tenu à l’écart à quelques mètres du bâtiment avec deux autres soldats afin de guetter les environs. Une minute après l’entrée de la troupe dans la bâtisse, une bombe avait explosé, la réduisant en un tas de pierres. Sous l’impact de la déflagration, son corps avait été propulsé dans les airs pour retomber vingt mètres plus loin, non sans séquelles.
Il avait presque perdu l’audition du côté droit et portait désormais un appareillage pour combler cette perte, des éclats de verre avaient fouetté son visage, lui causant une ulcération de la cornée. Lui qui avait toujours eu une excellente vue, se retrouvait désormais avec une baisse importante de l’acuité visuelle à droite. Cela lui avait aussi entaillé le visage, et maintenant, une balafre lui barrait la joue comme une preuve de sa faute inexcusable. Un morceau de métal s’était fiché dans sa cuisse, lui valant trente points de suture et une vilaine cicatrice. Mais tout ça, ce n’était pas cher payé en comparaison du reste. Cinq soldats sous son commandement avaient perdu la vie et ça, jamais il ne se le pardonnerait. Toutes les nuits durant près de deux ans, il avait revécu cet horrible moment. Mais depuis qu’il avait débuté une thérapie, les crises s’étaient espacées, lui laissant un peu de répit. Parfois, c’était plus dur à supporter que d’autres.
Après son retour, il avait sombré dans la dépression et l’alcool lui avait tenu compagnie durant un temps, pensant bêtement que la douleur disparaîtrait. En fait, cela avait aggravé ses angoisses. Longtemps après l’incident, il n’avait été que l’ombre de lui-même et avait refusé de voir quiconque. Il avait rejeté tous ceux qui avaient tenté de l’aider, amis comme médecins, incapable d’accepter l’horreur de ce qu’il avait vécu. Même Dwaine son pote de toujours, son frère d’armes, mais lui, coriace, était sans cesse revenu à la charge et l’avait secoué un nombre incalculable de fois, jusqu’à ce qu’il prenne enfin conscience qu’il devait consulter.
S’il défilait avec Baby à ses côtés ce dernier lundi de mai, c’était uniquement grâce à Dwaine. Son ami qui avait tout bonnement refusé de l’abandonner à son chagrin.
— Ça va mec ? lui demanda ce dernier avec une pointe d’inquiétude dans la voix.
— Ouais, répondit Alejandro sans même le regarder.
Il suivait le mouvement comme s’il avait été programmé pour l'exécuter. Après quelques mètres parcourus, le cortège arriva enfin sur le lieu de rassemblement et les soldats se dispersèrent pour rejoindre leur famille. Dwaine alla à la rencontre de Cheyenne qui l’attendait un peu plus loin et Alejandro en profita pour se griller une cigarette. Baby qui comprenait désormais son maître, s’assit et patienta sagement à ses côtés.
Alejandro ferma les yeux et exhala la fumée par ses narines. Il ne buvait plus une seule goutte d’alcool depuis plus d’un an, en revanche, il s’était mis à fumer. Pas beaucoup, juste quand il était très stressé et là, c’était le cas. Généralement, lorsqu’il se trouvait dans cet état, une marche d’une dizaine de kilomètres avec Baby l’apaisait, mais aujourd’hui, c’était particulier. Se retrouver entouré de collègues le rendait nerveux et il ne pouvait pas s’enfuir alors cette pause était la bienvenue.
Il baissa les yeux lorsqu’il sentit sa chienne s’agiter au bout de la longe et s’agaça en découvrant la scène qui se jouait dans ce petit parc. Un doberman se frottait sur sa Baby !
Il tourna la tête et son regard rencontra le profil de somptueuses et interminables jambes joliment galbées et légèrement hâlées qui révélaient un fessier qu’envierait n’importe quelle fille. Bombé à la perfection ! Malgré son avis de s’y attarder, il poursuivit son inspection qui le mena droit à une poitrine aussi attrayante que son derrière. Généreuse et mise en valeur par un tee-shirt cache-cœur qui ne laissait aucune place à l'imagination. Cette nana jouissait d'un corps féminin qu’il appréciait, il était divin !
Non, mais qu’est-ce qui lui prenait de penser ça ? Il releva la tête au moment où la jeune femme quitta des yeux son téléphone et tourna le visage vers lui. En plus de détenir une belle silhouette, elle possédait également un agréable minois. Des lèvres bien dessinées formant un O, un petit nez de Schtroumpfette, de longs cils qui sublimaient de grands yeux bruns rieurs, et des cheveux dont la longueur s'arrêtait au niveau de ses mâchoires et… roses ! Sérieux ! La bombasse qui se tenait devant lui avait les cheveux colorés !
— Un problème ? lui demanda-t-elle avec hargne.
OK, jolie, mais grande bouche.
— Oui, j’aimerais que votre obsédé de clebs cesse de se frotter au mien, répondit-il sur le même ton.
Elle tourna la tête et tira sur la longe pour ramener le doberman à son niveau.
— Assis pas bouger, lui ordonna-t-elle.
Le chien réagit aussitôt. Bon, il semblait bien élevé, un point pour elle.
— Excusez-vous maintenant, lui commanda-t-elle avec le plus grand des sérieux.
— Pardon ? s’exclama-t-il ahuri.
— Vous êtes sourd ou quoi ? Demandez pardon à mon chien pour l’avoir insulté !
— Non, mais vous êtes cinglée vous. Totalement ! ajouta-t-il en pivotant les talons.
Il s’éloigna rapidement de cette hystérique aux cheveux rose bonbon. Il n’avait pas besoin de cette folle à ses côtés. S’excuser auprès d’un chien ! Il en avait entendu des inepties, mais celle-là surpassait tout.
— Tu t’es fait une amie ? lui demanda Dwaine lorsqu’il arriva à sa hauteur, donnant un coup de menton vers la jeune femme accroupie devant son chien.
Alejandro tourna la tête et jura qu’elle passait un savon à son compagnon à quatre pattes. Il aurait aimé être plus proche pour écouter l’échange à sens unique. Zut pourquoi s’était-il éloigné si rapidement ?
— Pas vraiment… son cheval voulait monter Baby ! lui apprit-il.
— C’est un doberman pour info, le renseigna Cheyenne, sa petite chérie au look totalement décalé, mais absolument sympathique.
— Je le sais, bougonna-t-il. Bon, on ne va pas rester plantés-là comme des piquets à regarder Pinky rouspéter son clébard.
— Pinky ? Intéressant, releva Dwaine en jouant de ses sourcils.
— Très intéressant même, renchérit Cheyenne qui enlaça son compagnon. Tu sais que…
— Je ne veux rien entendre, la coupa Alejandro. Rien du tout. Allez viens Baby, laissons-les amoureux roucouler et allons nous servir au buffet. J’ai faim.
Il abandonna le couple qui regardait encore l’hystérique et son cabot, un sourire béat sur le visage. Alejandro comprenait parfaitement la signification du mot « intéressant » sorti de la bouche de son ami. Lui et Cheyenne se trompaient lourdement, cette fille grossière aux cheveux roses ne l’attirait pas du tout.
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