Adèle K auteure

Imposed Life (cadeaux, Prologue, chap 1,2 & le début du 3)

Avant-propos

À toi qui t’apprêtes à plonger dans cette romance dystopique qui se déroule dans un univers alternatif, il est important de souligner qu’il s’agit ici d’une œuvre de fiction.

Ainsi, pour les besoins de ce récit, j’ai pris quelques libertés par rapport au monde tel que tu le connais aujourd’hui.

Après ce petit rappel, je te laisse poursuivre l’aventure et découvrir ce monde que j’ai imaginé.

Adèle K

 

 

Prologue

Bowen

Je m’appelle Bowen Newman, j’ai trente ans, j’ai grandi à Rockrivers situé en Amérique. Une grande ville entourée de montagnes et de nombreuses rivières. J’ai un frère Theodore alias Teddy qui a sept ans de moins que moi et deux super amis, Andrea et Luke. Luke, que j’ai connu sur les bancs de l’école et Andrea qui est l’agent de sécurité d’Electra, la société de mes parents dans laquelle je suis concepteur automobile.

Nous sommes le 5 octobre 2080. Quatre semaines plus tôt, je suis sorti d’un coma dans lequel j’ai végété cinq ans. La raison, en juin de l’année 2075, une arme biologique a été déployée sur notre planète, entraînant la mort de milliards d’individus. Les enfants et les personnes âgés ont été les premières victimes de cette tragédie, mon père a également perdu la vie. Nous étions des milliards, nous sommes désormais des millions. J’ignore comment les choses se passent dehors, mais ici, à la clinique, les soignants se montrent assez distants les uns envers les autres. J’ai essayé d’en savoir un peu plus et hormis les dégâts qu’a causés cette attaque, je nage en eaux troubles. J’aurais aimé parler à ma famille, mais tout contact avec l’extérieur est interdit ! Je ne saisis toujours pas pourquoi, mais je pressens que les choses sont compliquées. Malgré tout, le médecin en chef m’a communiqué des informations sur mes proches. Ma mère et mon frère se portent bien et l’apprendre m’a motivé à reprendre rapidement des forces. D’ici quelques jours, je pourrai enfin sortir. Je vais mieux, j’ai repris du poids et du muscle et les médecins ont donné leur accord pour que je rentre chez moi. Il me tarde.

— Entrez, invité-je la personne qui frappe à ma porte.

Sûrement un aide-soignant qui vient s’assurer que je n’ai besoin de rien. Le battant s’ouvre et mes yeux s’arrondissent de surprise. Un homme vêtu d’un costume noir pénètre dans l’espace. Qui est-ce ? Que me veut-il ? Je me redresse dans mon lit alors qu’il attrape quelque chose dans la poche interne de sa veste.

— Monsieur Newman, agent Robertson, du gouvernement, se présente-t-il en me mettant son insigne sous le nez.

Que fait un agent du gouvernement dans ma chambre ? Que se passe-t-il ?

— Monsieur Newman, la situation est simple. Nous devons repeupler la Terre. À situation exceptionnelle, règles exceptionnelles.

— Quoi ? Comment ça ? bégayé-je, ne comprenant pas un mot.

— L’humanité court un danger et vous êtes en âge de procréer. Les règles sont claires. Nous allons vous affecter une femme, avec laquelle vous devrez avoir cinq enfants dans les dix années à venir.

Estomaqué, je le fixe la bouche ouverte. C’est quoi ces histoires ? Je ne veux pas avoir d’enfant, encore moins cinq ! Il poursuit, se fichant pas mal de mon état mental.

— Que cela vous plaise ou non, c’est le règlement ! Une femme, dix ans, cinq enfants. Je vous conseille d’oublier immédiatement ce que vous avez acquis le long de votre vie. Nouveau monde, nouvelles règles, entendu !

— Je… mais enfin c’est insensé, tenté-je alors qu’il me mitraille de ses yeux noirs.

— Nouveau monde, nouvelles règles, répète-t-il d’un ton autoritaire. Intégrez rapidement cette idée et tout ira bien. Dans le cas contraire, nous vous ferons rentrer dans les rangs et croyez-moi, en aucun cas vous ne souhaitez que l’on vous injecte le sérum d’obéissance.

— Un sérum d’ob…

— Vous m’avez bien compris, me coupe-t-il furieux. Au fur et à mesure, vous prendrez connaissance des nouvelles règles. N’oubliez pas, respectez les lois et tout ira bien pour vous. Comme vous sortez du coma, nous vous laisserons quelques jours pour profiter de votre famille avant de vous affecter une femme.

Sur ce dernier point, il quitte ma chambre sans se retourner et j’avoue que je ne pige rien. Une femme, dix ans, cinq enfants, sérum d’obéissance. C’est quoi cette merde ? Je suis encore endormi, ce n’est qu’un cauchemar duquel je vais me réveiller non ?

 

 

Chapitre 1

Bowen

Vêtu d’un jean et d’un pull qui ne m’appartiennent pas, merci au gentil médecin qui m’a passé des vêtements pour ma sortie, je pénètre dans la cabine. Je flotte un peu dans le pantalon, mais pour aller jusqu’à la villa familiale qui se trouve en périphérie de Rockrivers, ça devrait convenir. Mon cœur pulse dans ma poitrine tandis que l’ascenseur descend au rez-de-chaussée. Je vais retrouver mes proches qui attendent sûrement mon réveil depuis cinq longues années. J’ai hâte de les revoir et surtout de pouvoir enlacer ma mère que je n’ai toujours pas été autorisé à voir.

Je sors et balaie le hall du regard à la recherche d’un visage familier que je déniche rapidement. Mes yeux gris bleuté que je tiens de l’élégante femme qui se lève subitement de sa chaise, se fixent sur sa silhouette. Elle est belle, tellement. Mes pas me guident aussitôt vers elle, mais l’émotion la cloue sur place, l’empêchant d’agir.

— Maman, soufflé-je en la serrant dans mes bras.

— Bowen… j’ai cru que ce moment n’arriverait jamais, chuchote-t-elle contre mon cou. Quand l’hôpital m’a appelée pour m’informer de ton réveil, j’ai cru… que je rêvais… halète-t-elle, la voix chargée d’émotion.

Elle tremble contre ma poitrine tant elle est bouleversée et heureuse de me retrouver.

— Je suis là maman. Réveillé et en forme, ajouté-je pour l’apaiser.

Elle se recule et me détaille. Malgré les cinq années écoulées, la personne en face de moi semble la même, comme si je l’avais quittée la veille. Certes, quelques petites rides sont apparues, principalement aux coins de ses yeux, mais rien de dramatique. Ses cheveux arborent la même couleur et coupe qu'autrefois, châtain clair dont la longueur flirte avec ses omoplates. Elle est vêtue d’un pantalon en toile noire et d’un manteau gris chiné qui lui arrive sous les genoux. Un foulard qui porte son parfum aux notes subtiles et délicates de roses et de cerises complète sa tenue. Elle est toujours aussi élégante.

— Viens, partons d’ici, lui proposé-je en enlaçant ses épaules.

Quelques patients nous regardent les yeux ébahis et j’en comprends la raison. Nous n’avons aucun droit de prendre dans nos bras une autre femme que la nôtre, sous peine de représailles. Après le passage de l’agent du gouvernement, un infirmier a été chargé de m’expliquer que durant mon sommeil, ils m’avaient injecté une puce. Cette dernière sert à nous identifier et à nous tracer, mais aussi à y consigner nos fréquentations afin de faciliter les contrôles. Nos proches et nos amis y sont répertoriés, mais mieux vaut éviter les contacts en public. C’est source d’ennuis et d’humiliation.

— C’est ma mère d’accord, crié-je à qui veut bien l’entendre, pour ne pas me retrouver les fesses sur une chaise devant un agent du gouvernement.

Merde ! J’ai quand même le droit de prendre ma maman dans mes bras sans être embarqué, nom d’un chien ! Rien n’interdit les gestes affectueux entre membres d’une même famille. Manquerait plus que ça. En tout cas, je constate que les gens agissent sous la peur du sérum, puisque personne n’ose discuter avec son voisin. C’est affreux et terrifiant de perdre son libre arbitre. J’en frémis et j’aimerais me trouver partout sauf dans ce nouveau monde. J’étais bien endormi, paisible, sans contrainte. Jamais je n’aurais dû ouvrir les paupières !

Avant de quitter l’hôpital, de gentils soldats postés devant les portes sortent un lecteur et scannent notre bras droit. Un bip retentit et d’un battement de cils, ils nous donnent l’autorisation de quitter les lieux.

Nous délaissons le bâtiment et ma mère me mène à notre voiture en silence, la mine pincée. Elle observe le ciel dans lequel une marée de drones nage. Nous sommes surveillés en permanence et c’est déconcertant ! Jamais je n’aurais imaginé qu’une telle chose puisse se produire, pourtant nous y voilà et je ne sais pas comment prendre ces changements. Pour le moment, je vais profiter de ma famille.

Nous poursuivons notre route en silence jusqu’au parking et je retrouve notre Electra Ion 6. Un petit bijou technologique qui parcourt deux mille kilomètres sans recharge, et que seule notre compagnie parvient à fabriquer. Enfin, cinq ans en arrière, nous étions les seuls, aujourd’hui, nos concurrents ont dû s'aligner. Un homme quitte la place du conducteur dès que nous arrivons à sa hauteur.

— Teddy, m’exclamé-je heureux de découvrir un autre visage familier et omettant pour quelques minutes ce qui me turlupine.

Mon frère contourne le véhicule et me donne une accolade. C’est étrange de le revoir. Si je n’ai pas trouvé de grandes transformations chez ma mère, Teddy, lui, a changé. Il a vingt-trois ans désormais. Envolées sa physionomie de jeunot de dix-huit ans et l’acné dont il peinait à se débarrasser. Il était imberbe la dernière fois que je l’ai vu, maintenant, une barbe noire bien fournie et taillée dessine les courbes de son visage. Il porte des lunettes bleu marine à monture épaisse alors qu’à ma connaissance il n’a jamais eu de problème de vision. Ses dents de devant, malgré le port d’un appareillage, se sont écartées de nouveau. Il se retrouve encore une fois avec ses fameuses dents du bonheur qu’il détestait.

— Frangin, enfin réveillé, me chambre-t-il, en me donnant une accolade virile. C’est bon de te revoir. Tu nous as manqué.

— Vous m’avez manqué aussi. Enfin ces quatre dernières semaines, arrivé-je à plaisanter malgré l’ambiance pesante qui règne dans l’atmosphère.

— Allez les garçons, en route, décrète ma mère qui ouvre la porte arrière et s’installe sur la banquette, pressée de rentrer et sûrement de se mettre à l’abri du regard des drones.

Je me glisse à ses côtés et Teddy prend le volant. Il appuie sur quelques boutons et il quitte le parking. D’ici une quinzaine de minutes, je vais retrouver ma maison, celle dans laquelle j’ai grandi. Je ne cesse de me frotter le bras à l’endroit où la puce est logée. Elle ne me dérange pas, mais la savoir là m’agace. J’ai l’impression d’être un chien qu’on peut suivre à la trace. C’est d’ailleurs le cas ! Quel merdier. Je regarde par la vitre pour me calmer, mais aussi pour trouver des réponses. Comme si observer la population vaquer à ses activités en toute quiétude pouvait m’en apporter.

Des enfants rient et sautent dans les espaces verts dont les jeunes arbres peinent à pousser. Résultat du déversement du produit ayant été épandu sur nos sols. Hormis ce point, en apparence, tout semble normal. Les gens ont l’air plutôt heureux malgré cette vie qu’on leur impose. À croire que je suis le seul à être choqué.

— Alors euh… comment vous vous en êtes sortis avec ces nouvelles lois ?

— Comme je n’ai pas envie d’être lobotomisé, je m’y plie, annonce mon frère en me jetant en coup d’œil dans le rétroviseur.

— Ouais enfin, tu as vingt-trois ans Ted donc je suppose que tu ne te sens pas vraiment concerné pour le moment, m’agacé-je, jaloux qu’il puisse jouir du droit de sélectionner son épouse. Et puis, c’est quoi cette histoire de lobotomie ?

Ce point, je l’ai appris en discutant avec les infirmiers qui n’ont malheureusement pas été très bavards sur les nouvelles lois, malgré mon insistance à jouer les curieux. Je voulais savoir à quoi m’attendre avant de sortir. À force d’obstination, je leur ai soutiré cette information, nous avons jusqu’à nos vingt-cinq ans pour trouver chaussure à notre pied, après ça, c’est un programme qui désigne notre moitié. Manque de bol, j’ai désormais trente ans !

— C’est sûr que j’ai la chance de pouvoir sélectionner la femme avec qui je vais passer ma vie. Me reste plus qu’à choisir la bonne personne, complète-t-il en haussant les épaules sans me rabrouer. Et le sérum te détruit le cerveau, d’où la lobotomie.

— Sérieusement ? m’exclamé-je à moitié ahuri.

C’est quoi ces conneries ? Résigné, il acquiesce d’un signe de tête. Mince, c’est pire qu’un cauchemar !

— Je n’arrive toujours pas à considérer que le peuple ne se soit pas révolté, m’indigné-je, écœuré.

— Ne crois pas que les gens ne se soient pas défendus, Bowen. Ils ont manifesté dans les rues, hurlé leur colère en brandissant des pancartes et en se battant contre les forces de l’ordre. Beaucoup ont été emmenés dans des camions et lorsqu’ils sont revenus, ils avaient changé radicalement, m’apprend ma mère. Nous avons pris peur quand nous avons saisi l’impact de ce sérum sur notre cerveau.

— Ils les ont lobotomisés. Le sérum d’obéissance qu’ils injectent te ruine la cervelle. Après la piqûre, tu… eh bien, certains ne reconnaissent même plus leur famille… c’est effroyable mon gars, s’étrangle mon frère qui a retrouvé la parole.

Putain de loi ! Comment peuvent-ils se conduire de la sorte ? Nous traiter comme des bêtes ! Nous forcer à enfanter, à vivre avec une étrangère jusqu’à ce que la mort nous sépare. C’est affreux… en réalité je ne trouve pas les mots tant la situation demeure inqualifiable. Et le fait qu’il n’hésite pas à nous… nous effacer la mémoire… j’en reste bouche bée ! Je croyais que ça n’existait que dans les films de science-fiction !

— J’ai un nouveau mari, m’apprend ma mère, ramenant mon attention sur elle. C’est Walter Bennett.

Walter était l’ami et le vice PDG de mon père chez Electra. Un homme à la peau ébène, aux yeux noirs, chauve et sympathique. Il venait souvent dîner à la maison avec son épouse Monica.

— Walter a perdu sa femme et… quand… quand on a eu vent de ces lois, nous… nous avons pris la décision de nous unir. C’était plus facile, tu comprends, me demande-t-elle en posant sa main sur mon bras, cherchant mon assentiment. Tu dois comprendre que ces lois martiales ont été mises en place tout de suite, je… on n’a pas eu le choix.

Je comprends, mais je n’en ressens pas moins du dégoût. Comment peuvent-ils nous faire vivre cet enfer ? Nous forcer à nous reproduire alors que nous étions beaucoup trop sur Terre et qu’elle mourrait à petit feu par notre faute. J’aurais mieux fait de ne pas me réveiller, mieux encore, de crever sur le goudron quand l’horreur est arrivée par les airs ! Envolée la démocratie, bonjour la dictature et le chantage.

— De notre alliance sont nés deux petits, poursuit-elle d’une voix emplie de douceur.

Ma mère avait quarante-cinq ans lors de l’attaque, donc disposée à procréer. Elle n’a pas eu le choix, tout comme je ne l’aurai pas. Elle tire son téléphone de la poche de son manteau, tapote sur l’écran et me montre une photo de deux bouts de chou. Un garçon au teint mat avec de grands yeux noirs et des cheveux tout aussi sombres. Il ressemble beaucoup à Walter contrairement à la magnifique petite fille au teint tout aussi mat que son frère, mais avec des billes bleues et une crinière claire.

— Je te présente Adam et Malia. Ils ont trois ans. Ils sont nés le 14 avril 2077.

Bien qu’ils aient une jolie bouille, je ne peux pas m’extasier sur leur existence. Ils sont venus sur cette planète par la force et c’est scandaleux, intolérable, à en vomir. Où sont passés nos droits ? Notre liberté ? Je ne veux pas de cette vie, d’une femme que je n’aurai pas choisie, d’enfant que je n’aurai pas décidé de concevoir. Je refuse. Putain, je refuse ! Une loi pour les gens comme moi doit bien exister ? Des humains qui se réveillent dans un monde qui a changé et qui est gouverné par des ploucs avec des idées à la con. On marche complètement sur la tête.

Mon Dieu… les dirigeants ont touché le fond. Horrible… inimaginable… je me rends compte que je suis piégé. Je pourrais me suicider, mais réaliser ce geste me semble insurmontable. Bienvenue en enfer, Bowen !

 

 

Chapitre 2

Bowen

Mon frère bifurque sur la droite et prend la route de la villa que je reconnais en jetant un œil par la fenêtre. En cinq ans, le paysage a évolué. Il y a moins d’arbres que dans mon souvenir, heureusement la plupart ont résisté, mais parfois, je distingue des trous dans la forêt. De nouveaux poteaux recevant des caméras ont quant à eux fleuri de toute part. Il y en a partout et elles nous pistent, je suppose. Jamais je ne pensais que nous arriverions là ! Nous sommes hyper surveillés. Les caméras ne suffisant pas, les drones s’y sont ajoutés. Brrr… toute cette surveillance fait froid dans le dos. Je me concentre sur les sapins qui seront bientôt couverts de neiges. J’aime l’hiver lorsque la quiétude s’invite dans notre univers.

Les cours d’eau qui dévalent inlassablement les flancs des montagnes s’échouent dans la rivière en contrebas créant une mélodie que j’aime écouter, c’est reposant. Le pont que de nombreux vététistes et randonneurs empruntent dès la belle saison pour accéder aux sentiers a, quant à lui, subi un ravalement. La peinture autrefois verte est désormais rouge, couleur qui contraste avec le paysage. C’est moche, mais pourquoi pas, après tout, plus rien ne m’étonne.

Ted ralentit et patiente le temps que le portail coulisse. L’extérieur de la villa n’a pas changé. Le jardin est toujours aussi bien entretenu, mais je remarque que par endroit la pelouse ne pousse plus. Sûrement la faute au produit chimique. D’ailleurs, les fruits et les légumes poussent désormais en serres fermées. Des IA surveillent leur évolution et leur distribuent les éléments nécessaires à leur croissance. Ainsi, ça évite de manger des légumes contaminés par le sol qui a souffert de cette attaque.

Teddy s’arrête devant l’entrée, puis nous quittons l’habitacle pour suivre ma mère à l’intérieur de la demeure. Sur le guéridon de l’entrée, trône comme chaque jour depuis ma naissance, un bouquet de fleurs fraîches. Ma mère, amoureuse de la nature, les adore. Sur la droite, un imposant porte-manteau, nouveau celui-ci, sur lequel sont suspendues des petites vestes. Ma mère y accroche la sienne ainsi que son sac à main et mon frère l’imite. Moi, je ne retire rien puisque je porte simplement un jeans et un sweat.

Devant la patère se dresse l’escalier menant aux chambres et sur la droite, le couloir desservant les pièces principales de la maison. Je reste figé dans l’entrée, incapable de savoir où aller. Ma mère qui sent mon hésitation m’attrape la main et prend le chemin du salon. Devant la porte close, des voix nous parviennent me donnant l’impression que se tient une réception. Ma mère pousse le battant et trois personnes que je connais et une autre qui m’est étrangère crient :

« Bon retour parmi les vivants Bowen. »

J’esquisse un rictus et m’avance vers eux. Mon pote de toujours Luke, roux, pupilles vertes, carrure de sportif dans laquelle je me perds, m’étreint un long moment avant de me relâcher.

— Cinq ans que j’attends ce moment Bowie. Tu m’as manqué mon pote, me dit-il avec émotion. Et, tu te souviens de Isla ?

Isla, sa petite copine de l’époque que je devine être sa femme. Elle est enceinte de quelques mois puisqu’un petit ventre se dessine sous son chemisier. Comme toujours Isla, détestant les artifices se montre au naturel.

— Tu n’as pas changé Bowen, me souffle la petite brunette au teint hâlé et aux yeux vert bouteille en me serrant dans ses bras.

— J’ai perdu quelques kilos, mes cheveux et ma barbe. Rien d’irréparable en fait, me rends-je compte, en énumérant mon physique qui ne me ressemble pas vraiment.

Elle me sourit et retourne auprès de Luke. Avant de tomber dans le coma, j’avais un corps bien musclé, une barbe qui me mangeait les joues et des cheveux plus longs que la coupe à la militaire qui recouvre mon crâne. J’étais un beau mec qui attirait les gonzesses. Je n’avais qu’à claquer des doigts et dix fourmillaient autour de moi. J’avais la côte. Bon mon côté richebourg aidait, sans aucun doute.

— Salut, on ne se connait pas, mais je suis June se présente une jeune fille blonde.

Elle arbore une coupe à la garçonne, des yeux marron mis en valeur par un fard à paupières rose nacré, des joues pleines et un nez retroussé. Je suis la copine de Teddy.

— Salut June, lui réponds-je simplement ne sachant pas comment agir.

Teddy se met à ses côtés et passe une main autour de ses épaules. Il lui adresse un sourire et l’embrasse sur la joue.

— Bienvenue à la maison Bowen, m’accueille mon beau-père en me tendant sa main que je serre.

— Papa c’est qui lui ? demande une petite voix fluette.

Je baisse le regard et je tombe sur ma petite sœur Malia que Walter soulève. Un petit garçon la suit et à son teint clair je devine que ce n’est pas son jumeau. Ce dernier se dirige vers Isla et lui tend les bras. Donc, Luke et elle ont déjà un enfant. Logique après tout puisque les lois nous en imposent cinq. Autant commencer rapidement.

— Lui, ma chérie c’est ton grand frère. Tu lui fais un coucou ?

Elle agite sa main, puis se cache contre la poitrine de Walter. Malgré moi, j’ébauche un sourire. Difficile de ne pas fondre devant sa petite bouille à croquer. Adam quant à lui se met à pleurer et ma mère qui s’est rapprochée de nous, s’excuse en se baissant pour le consoler.

— Il a du mal avec les nouvelles têtes, mais dans quelque temps, il t’adoptera m’explique-t-elle en plaisantant.

— On l’ouvre cette bouteille ? propose mon frère, un brin jovial.

— Évidemment. Nous allons célébrer le retour de Bowen, s’excite ma mère en soulevant Adam dans ses bras avant de s’avancer vers la table du salon où se trouve des biscuits et des flûtes à champagne.

Elle pose Adam sur le sol qui s’agrippe à sa jambe et geint. Mon frère va l’aider et attire le petit dans ses bras tandis qu’elle me tend la bouteille.

— À toi l’honneur Bowen.

Je la rejoins et une fois tout le monde réuni, je fais sauter le bouchon qui s’échoue près de la cheminée dont le manteau regorge de photos. Des vieilles et des plus récentes, des enfants notamment. Je verse le nectar dans les flûtes que je distribue, puis nous les tintons les unes contre les autres. Mon cœur n’est pas à la fête, pourtant, je donne le change.

— Comment tu te sens mec ? m’interroge Luke. T’as l’air en forme !

— J’ai passé cinq ans de ma vie à dormir alors encore heureux que je pète le feu, rigolé-je en m’asseyant sur le canapé. Alors vous vous êtes mariés ?

— Ouais, quand on a eu vent de ces lois, nous avons beaucoup discuté et nous en sommes arrivés à la même conclusion. J’avais presque vingt-six ans, Isla aller fêter ses vingt-cinq ans. Nous sortions ensemble depuis cinq mois, mais on se connaissait un peu. C’était mieux que d’épouser une étrangère, m’explique-t-il résigné.

— Je comprends… à ta place, j’aurais fait les mêmes choix.

Je n’avais personne, j’étais plutôt du genre à papillonner, mais nul doute que Emery, la cousine de Isla et la fille avec qui je suis sortie deux mois avant de la lâcher pour une autre, aurait accepté le contrat sans tergiverser. Je suppose qu’entre vivre avec une étrangère et une fille qu’on a déjà côtoyée, le choix est vite fait.

— Ça craint hein… ce nouveau monde ? ajoute-t-il en posant sa main sur le genou de sa femme.

Leur petit garçon, lové contre la poitrine d’Isla, joue avec sa chaîne.

— Comment faites-vous ? leur demandé-je incapable de garder ma langue.

— Je prie pour que le gouvernement revienne à la raison, me répond-il sarcastique.

— Nous prions tous Bowen, mais en attendant, nous subissons, renchérit Walter.

Je frotte mon visage, j’appuie mes pouces sur mes yeux et je pousse un soupir. Ils affichent tous un air de dépit et semblent épuisés par cette situation. Les conversations se poursuivent, j’apprends qu’Isla est préparatrice en pharmacie, que Luke travaille dans l’import-export. Teddy et June étudient à l’université, au moins ça existe encore. Electra produit toujours des voitures et Walter dirige la société. Hormis ces foutues lois, le monde continue de tourner.

Mes amis restent deux bonnes heures, puis finissent par nous quitter. Je les raccompagne jusqu’à leur voiture que Luke a garée sur le côté de la maison. Pas étonnant que je ne l’ai pas remarquée, il l’avait cachée. Isla attache le bonhomme sur son siège et s’installe à son tour, nous laissant seuls à l’extérieur.

— Luke… je peux te poser une question à laquelle j’exige que tu répondes sincèrement.

— Toujours mec.

— Es-tu heureux ?

— Je ne suis pas malheureux déjà, mais je ne sais pas si sous l’ancien régime, appelons-le ainsi, j’aurais épousé Isla.

— Mais tu l’aimes ? lui demandé-je du tac au tac.

Si ce n’est pas le cas, alors qu’ils se fréquentaient avant que tout change, je me demande comment je vais faire avec une nana que je n’ai pas choisie.

— Oui bien sûr, mais l’aurais-je épousé sans ces lois ? Enfin bref… ne remuons pas les mauvaises choses mec et réjouissons-nous d’avoir survécu à cette attaque.

— Ouais, murmuré-je pas convaincu.

— On s’appelle Bowie, me lance-t-il en ouvrant sa portière.

— Je veux bien, mais je n’ai pas de téléphone.

— T’inquiète pas, Ted t’en a sûrement déjà acheté un. Allez ciao.

Il monte dans son Electra, claque sa portière et la voiture roule sur le bitume dans le plus grand des silences. J’attends qu’elle franchisse le portail avant de rentrer et de monter directement dans ma chambre. Ces dernières heures m'ont éprouvé et j’ai grand besoin de repos.

 

Chapitre 3

Rylie

(Quelques semaines avant la sortie d’hôpital de Bowen)

Vingt heures, ce travail va finir par me tuer, enfin si Cooper mon fiancé ne s’en charge pas en premier. Depuis une semaine, j’essaie de le voir, mais monsieur est trop accaparé par son boulot pour m’accorder ne serait-ce qu’une soirée. Nous devons organiser notre mariage qui se déroulera dans quinze jours. Nous avons décidé qu’il aurait lieu une semaine avant ma vingt-cinquième année, l’âge maximum pour s’unir à la personne choisie. Soit le vingt-huit septembre et nous n’avons encore rien réservé.

Chaque fois que je lui en parle, il me répond que nous avons le temps puisque nous n’avons que quelques invités qui tiendront facilement dans mon appartement. Malgré que nous nous fréquentions depuis trois ans, nous ne vivons toujours pas ensemble. La raison, lui comme moi souhaitions avoir notre chez nous et profiter de moments de solitude avant de se passer la corde au cou et subir l’autre jusqu’à la fin de notre vie. Le divorce étant interdit, nous serons unis à jamais. J’avoue que le futur nous fait flipper.

— Rylie, tu fais encore du rab ? me questionne Andrea le chef de la sécurité d’Electra, l’entreprise dans laquelle je travaille.

J’ai été embauchée en qualité de programmeuse quelques jours avant l’attaque biologique. J’avais tout juste vingt ans, je venais de recevoir mon diplôme et obtenir un contrat ici, était inespéré. Beaucoup de candidatures et peu de postes à pourvoir étaient connus dans la boîte. La place requérait de l’expérience de deux ans. Autant dire que c’était foutu d’avance, mais qui ne tente rien n’a rien, c’est mon mantra, donc je me suis présentée au job dating. Durant l’entretien, j’ai convaincu le PDG de me prendre à l’essai en argumentant sur le fait que tout le monde exigeait de l’expérience, mais qu’il serait bien de laisser aux jeunes diplômés la chance d’en acquérir.

J’étais frustrée en sortant du bureau, certaine de m’être déplacée pour rien. J’ai été surprise lorsque monsieur Newman m’a rappelée dans la soirée pour me convoquer le lendemain. Ne me décevez pas Rylie, m’avait-il dit une fois le contrat signé.

Je n’ai pas eu le temps d’en arriver là, l’agent chimique l’a tué. Il m’aurait eue aussi si Andreas Brown ne m’avait pas retenue lorsque je me suis jetée sur les portes dans l’optique de courir jusque chez moi pour m’assurer que ma mère allait bien. Depuis les fenêtres, nous avons assisté à l’horreur. Les gens tombaient les uns après les autres. Les plus faibles sont décédés sur le bitume, les autres, ont été emmenés dans les hôpitaux. Certains ont été sauvés, d’autres ont sombré dans le coma et n’en sont toujours pas sortis malgré l’avancée médicale.

— Comme toujours Andy. En plus, je n’ai que ça à faire. Personne ne m’attend à la maison et Cooper ne répond pas à mes sollicitations.

— Je suppose que tu vas devoir gérer votre mariage seule.

Il se moque de moi, comme souvent. Andrea est aussi noir que je suis blanche. Ses yeux sont sombres tandis que les miens sont clairs. Ses cheveux sont ras et ébène, les miens, longs et roux. Sa carrure est impressionnante, la mienne, frêle. Ses yeux sont rieurs, les miens glaciaux. Il est grand, je suis petite. Nous sommes totalement différents, tout nous oppose et pourtant nous sommes très proches. Enfin, autant que la limite nous l’impose.

Depuis qu’il m’a évité une mort certaine, Andrea est devenu bien plus qu’un ami. Il est désormais ma seule famille. Au moment où les lois ont été votées, il avait trente ans et était en instance de divorce. Celui-ci lui a été refusé, et Miranda et lui ont été contraints de remettre leur alliance. Ils sont passés par des moments très compliqués, mais se sont remis en question pour esquiver ce foutu sérum d’obéissance que personne n’a envie de se voir injecter. Et aussi pour le bien être de leur fille Assia, trois ans à l’époque. Ils sont désormais parents de Assia, huit ans, Koa trois ans, et le petit Keziah a rejoint la famille le mois dernier.

— On dirait bien, soufflé-je. Enfin ce n’est pas bien grave, je vais me débrouiller et puis je ne vais pas préparer un banquet. Nous ne serons qu’une dizaine.

— Quoi que tu fasses Rye se sera parfait, me sourit-il.

J’aimerais le prendre dans mes bras, mais nous évitons autant que possible les contacts dans les lieux publics. Nous sommes surveillés et tout geste de tendresse envers une personne peut nous valoir des ennuis en cas de contrôle d’identité. Bien qu’ici, nous soyons en sécurité, les employés n’iraient jamais nous dénoncer. Oui, il arrive parfois que les citoyens joignent le département concerné pour leur signaler un comportement qu’ils qualifient de déviant et en retour, si les faits sont avérés, ils reçoivent une jolie prime. Ce monde est à gerber, vendre son voisin pour de l’argent, jamais je n’aurais pensé que nous arriverions là.

— Ouais… bon allez, je file, embrasse Miranda et les enfants pour moi. À demain Andy.

— À demain ma belle.

Je lui adresse un signe avant de franchir l’accès qui mène au garage où je retrouve mon Electra ONI. Elle ressemble à une bulle opaque montée sur quatre roues. Équipée de multiples caméras et de la reconnaissance faciale, la porte coulisse dès qu’elle m’identifie. Je pose mon sac sur le sol et je m’installe à l’avant.

— ONI, conduis-moi à la maison, lui demandé-je en fermant les yeux.

— Autre chose ? m’interroge-t-elle tout en sortant de la place de parking comme une pro. Vous semblez tendue, un massage pourrait vous relaxer.

— Bonne idée ONI. Active les sièges chauffants également.

Aussitôt réclamé, aussitôt enclenché. Un vrai bonheur de pouvoir se décontracter dans sa voiture après une journée de travail. Ne manque plus que le verre de vin et l’odeur des roses pour une détente complète.

— Rylie, nous avons atteint la destination, m’apprend ma voiture.

J’ouvre les paupières et m’étire tel un chat après une longue sieste. L’Electra m’a ramenée à la maison en toute sécurité. S’il y a bien une chose que j’aime à notre époque, c’est le fait de ne pas avoir à conduire. D’ailleurs, je ne possède pas le permis. J’ai entièrement confiance en ma voiture et en ses programmes. Ils ne m’ont jamais fait défaut. D’autre part, chaque fois qu’un accident se produit sur les routes, fait assez rare, je tiens à le souligner, c’est lorsque les humains prennent le contrôle des véhicules.

Ragaillardie et totalement détendue je m’empare de mon sac et je quitte mon cocon pour rejoindre l’ascenseur qui, sans que je ne touche à aucun bouton, me transporte à mon étage. Le troisième. Idem pour l’ouverture de la porte de mon appartement qui coulisse sans que je n’aie à taper un code ou à insérer une clé dans une serrure. De toute manière, elle en est dépourvue. À peine entrée, les lumières s’éveillent et diffusent une lueur tamisée. J’abandonne mes Stilettos sur le tapis, mon sac sur la console, et me débarrasse de mon manteau que j’accroche à la patère. Déshabillée et à l’aise, je me rends ensuite à la cuisine où je me prépare un en-cas avec des restes que je vais déguster accompagné d’un verre de vin. Je croque dans le pain ultra croustillant et pousse un gémissement de plaisir. Un délice.

— Cooper vient d’arriver, m’autorisez-vous à lui ouvrir ? me questionne l’intelligence artificielle.

— Oh ! Cooper est là, lui réponds-je avec animation. Oui, oui, il peut entrer.

Je saute de mon tabouret, m’essuie la bouche avant de le rejoindre d’un pas précipité....

 

Imposed Life, disponible le 25 janvier   Ici au prix de lancement de 2,99 jusqu'au 26 janvier.

Adèle k.

 

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