Adèle K auteure

Galaïons : Laïos (Premiers chapitres offert)

Prologue

Une pluie de météorites s’abat sur notre galaxie, ravageant tout sur son passage, ne laissant aucune échappatoire aux habitants paniqués qui tentent de fuir.

Où aller ?

Je l’ignore !

Nous sommes piégés, il n’y a aucune issue possible, à l’exception des vaisseaux spatiaux qui planent en vol stationnaire à quelques mètres de nous. Seulement, pour les atteindre, c’est un véritable parcours du combattant.

C’est le chaos total !

Des cris de terreur éclatent autour de moi, me faisant frissonner et perdre mon sang froid. Mon père me hurle de courir vers le vaisseau en orbite, afin de nous mettre rapidement en sécurité. C’est notre seul salut.

Je galope aussi vite que je le peux, le cœur au bord de l’explosion, derrière Blue et Minty qui ont pris une longueur d’avance. Je me suis stoppé pour tenter de sauver ma mère. En vain.

Ne percevant plus les rugissements de mon père derrière moi, je me retourne et m’arrête net. Tout s’effondre en moi en le découvrant, gisant sur le sol rouge de notre planète, écrasé par une énorme météorite encore fumante. Mon cœur semble s’arrêter de battre face à cette scène déchirante et catastrophique.

Non !

Je ne peux pas l’abandonner, c’est impossible, j’ai besoin de lui ! J’effectue un demi-tour et me précipite à ses côtés, ignorant le danger qui consume notre monde.

— Père, je vais te sortir de là ! Tiens, bon, tenté-je de le rassurer en me baissant pour comprimer sa blessure avec ma main tremblante.

Ma peau dorée et scintillante disparaît sous le flot constant d’hémoglobine qui jaillit de la plaie béante. Une violente nausée me saisit, mon réservoir se contracte, prêt à rejeter mon déjeuner. C’est insoutenable !

— C’est inutile, Laïos. Fuis… emmène Minty et Blue et protège-les. Promets-moi de les protéger, fils, articule mon père dans un dernier souffle.

— Je te le promets père… murmuré-je, comprenant que c’est la fin.

— Laïos ! hurle Blue dans mon dos.

Je me retourne brusquement. L’horreur me frappe de plein fouet.

— Minty ! crié-je, à mon tour, le cœur en lambeaux.

Je jette un dernier regard à mon père. Ses paupières sont closes, du sang s’échappe de ses lèvres, son torse ne se soulève plus.

C’est terminé.

— Adieu… soufflé-je en essuyant une larme solitaire qui trace une ligne sur ma joue.

La seule que je me permets de verser.

Je me relève d’un bond et fonce vers Minty, couchée sur le sol, agonisante.

— Minty ! Je suis là ! Reste avec moi mon émeraude. Tu m’entends ? Reste avec moi ! Je t’en supplie Minty, accroche-toi ! Je vais te sauver ! hurlé-je, la voix brisée, terrifié à l’idée de la perdre, elle aussi.

Mon regard fouille la scène, tentant de comprendre l’étendue des dégâts.

Une météorite noire et fumante, de taille moyenne, s’est abattue avec une violence inouïe sur elle, écrasant son ventre et broyant sa jambe. Un geyser de sang s’échappe de son flanc. La connexion principale a été touchée. C’est grave. C’est même catastrophique. Je ne peux pas la perdre. Impossible !

— Que Dilaïens, notre Dieu, ait pitié de nous ! prié-je, le souffle court, les entrailles nouées.

Sans hésiter, j’agrippe la pierre brûlante à pleine main. La chaleur ne me blessera pas ni ne me carbonisera, c’est une certitude. Ma peau, bénie par le feu sacré de Dilaïens, ne craint pas la braise. Elle résiste.

De toutes mes forces, je le culbute, mes muscles tremblent sous l’effort. La roche cède, libérant Minty qui pousse un cri de douleur.

Sans ménagement, je la soulève dans mes bras, la presse contre mon torse. Son sang imprègne rapidement ma toge, mais je n’en ai cure.

Je cours. Je cours à une vitesse que je n’ai jamais atteinte.

Autour de moi, des boules de feu s’écrasent sur le sol, déchirant l’air, projetant débris et flammes, m’aveuglant. Mais je l’ignore, je galope, essayant de sauver ma peau et celle de Minty.

C’est l’Apocalypse.

Notre temps est compté !

Quelques foulées de plus et j’atteindrais le vaisseau. Mes jambes flanchent par moment, la terre tremble sous mes pieds à chaque nouvelle roche qui entre en contact avec Galaïons, la détruisant un peu plus. Encore une dizaine de mètres, puis cinq, puis deux. À travers la poussière, je distingue Blue qui semble indemne et c’est un énorme soulagement.

J’y suis enfin. Je bondis, mes pieds frappent la plateforme métallique.

Je suis à bord, en sécurité.

Elle aussi, pour l’instant.

— SILIA, décolle immédiatement ! ordonné-je d’une voix ferme au programme intelligent qui commande notre vaisseau.

La porte se ferme, scellant notre destinée.

Aussitôt verrouillée, le vaisseau s’élève dans le ciel qui rougeoie.

Nous nous éloignons de Galaïons, ma terre, mon refuge, mon royaume qui ressemble désormais à un champ de ruines consumé par le feu céleste.

Un léger gémissement me fait tressaillir.

— Tout va bien se passer Minty, je te le promets, beauté, murmuré-je plus pour me convaincre que la rassurer.

Je me déplace avec précaution, la serrant toujours contre moi comme une chose précieuse que je ne veux pas briser. Je la dépose dans le caisson de cryogénisation, le cœur serré.

Je tente d’évaluer ses blessures, mais le sang qui macule sa toge m’empêche d’y voir clairement.

— Ferme le caisson.

La voix de SILIA résonne, froide, tranchante, sans appel.

Je frémis, puis me penche.

— Je vais te sauver… je te le jure.

Je dépose un baiser sur son front pâle, presque glacé. J’ai peur pour elle. Peur de la perdre.

À contrecœur, j’abaisse le couvercle. Il se verrouille et le processus de cryogénisation s’enclenche. Des brumes bleutées s’élèvent autour de son corps, la plongeant dans un sommeil suspendu entre la vie et la mort.

Je ne peux plus rien faire.

Pas pour l’instant.

Je me retourne, le cœur lourd. Mes pas me mènent vers le poste d’observation.

Blue est là, figée devant la verrière, les épaules secouées par des sanglots muets.

— Blue, l’interpellé-je en m’approchant.

Elle ne me répond pas, alors je fixe mon regard sur l’extérieur et assiste, impuissant, à la chute de notre galaxie. Des fragments de notre monde dérivent lentement dans l’espace.

— Ils sont tous morts, pleure-t-elle. Père, mère, nos serviteurs, notre garde, notre peuple…

Des sanglots incontrôlables déchirent le silence du vaisseau qui nous éloigne de notre maison.

Galaïons n’est plus.

J’enroule un bras autour de ses frêles épaules et la ramène contre mon flanc. Elle se laisse aller.

Elle est si jeune. À peine vingt cycles. J’en ai trente et Minty vingt-cinq. Elles sont tout ce qu’il me reste et je ne peux pas me permettre de les perdre. Je n’y survivrais pas.

— Laïos, je mets le cap sur la terre. Selon mes calculs, nous y parviendrons dans deux cents cycles, correspondant à deux cents ans pour les terriens. C’est l’environnement le plus adapté pour vous. Vous pourrez vous fondre parmi les humains sans problème, leur génétique ressemble de très près à la vôtre, m’informe-t-elle.

Deux cents ans… c’est un long voyage.

Interminable.

Et pourtant, notre vaisseau est le plus rapide de notre flotte. C’est le vaisseau royal, celui de père, notre roi.

— Laïos, reprend SILIA, vous devriez installer Blue dans le caisson également. Le voyage sera long et éprouvant.

— Non, je t’en supplie, non ! Je veux t’assister. Je… je ne veux pas… me dit-elle, les mots entrecoupés de sanglots.

Les mots meurent sur ses lèvres, étranglées par ses pleurs.

Je la regarde, ma cadette. Mon sang. Mon dernier lien avec le monde que nous avons perdu.

— Blue, je vais moi aussi me coucher et laisser SILIA nous emmener vers la Terre. Allez, l’encouragé-je en la guidant jusqu’au centre de la pièce où se trouve son caisson.

Je l’aide à s’installer, puis je l’étreins, prolongeant ce moment qui pourrait être le dernier.

— Allonge-toi, Blue, murmuré-je, la voix émue.

Elle obéit, les larmes aux yeux, le visage tourné vers moi. Je serre sa main entre les miennes, l’une est encore couverte du sang de père. Je détourne le regard et me concentre sur les yeux bleus de ma sœur. Je presse un baiser bienveillant sur son front, puis d’un geste lourd, je saisis le couvercle du caisson que je referme. SILIA enclenche le programme et comme pour Minty, bientôt une brume bleue recouvre le corps de Blue.

— SILIA…

Je lève lentement les yeux vers les parois métalliques qui me renvoient mon propre reflet… celui d’un prince brisé.

— Comment va Minty ?

Des bips retentissent dans les baffles, puis la réponse éclate, implacable.

— C’est grave. La seule façon de la sauver, c’est d’extraire l’agent réparateur contenu dans le cordon ombilical d’un nouveau-né. Le vôtre. Seul du sang royal pur et neuf pourra la sauver.

Je me fige. Mes bras tombent, inertes, le souffle est coupé par cette révélation brutale.

Un enfant… ?

Mon enfant.

Mais comment ?

Comment être père, alors qu’il ne reste aucune femelle… ? Aucune…

— Y a-t-il des survivants ? me renseigné-je sans grand espoir, connaissant la réponse.

Je l’ai vu de mes propres yeux !

Je l’ai vécu.

Le chaos.

Aucun Galaïen n’était préparé à cet horrible événement, et mon peuple, pris de panique, ignorait comment agir.

Quelle horreur !

Et moi… j’ai fui.

J’ai fui.

Quel prince abandonne son royaume ?

Quelle honte !

— Pas que je sache.

La réponse de SILIA me transperce.

— Les femelles de mon monde ont toutes péries ! Toutes ! m’écrié-je, accablé. Comment sauver Minty alors ? Comment ?

Silence.

Un silence presque compatissant, avant que ne tombe la sentence :

— Je suis désolé.

Je tourne en rond dans le cockpit, les poings serrés, frappant parfois la paroi, impuissant.

SILIA nous conduit sur Terre, une planète où l’espèce humaine nous ressemble… oui. Mais est-ce suffisant ?

Je sais que, pour créer la vie, il faut l’Étincelle.

Ce lien profond, sacré, qui relie deux âmes compatibles. Sans elle, la reproduction demeure impossible chez nous.

Alors, que me reste-t-il ?

Pas d’étincelle. Pas de descendance. Pas de salut pour Minty.

— Emmène-nous quelque part… n’importe où… tant que je peux la sauver !

Je me laisse choir dans le fauteuil, écrasé par le poids de la promesse faite à mon père, la voix étranglée par la rage et le désarroi.

— J’ai promis de veiller sur elle… Je dois la sauver, SILIA ! Je le dois !

— Sur Terre vous le pourrez, Laïos. Une fois que vous aurez trouvé votre étincelle, Minty sera en sécurité, m’assure-t-elle de son ton si familier, dénué de toute émotion.

Je me frotte le visage et me relève, ignorant le sang que j’étale sur ma peau. Je marche jusqu’au cryogénisateur et, à travers la vitre, j’observe Minty endormie. Elle semble apaisée. La douleur a disparu de ses traits, elle ne souffre plus. Un maigre soulagement dans cet océan d’horreur.

— Laïos, il serait préférable que vous entriez à votre tour dans un caisson. Je le déverrouillerai à notre arrivée sur Terre, m’informe SILIA.

— Je vais d’abord me… me laver, prononcé-je, abattu.

Une fois ma toilette terminée, je m’approche d'un caisson. Mon refuge temporaire. Mon cercueil de verre. Je m’y installe, lentement. Un frisson me traverse lorsque le métal épouse mon corps. Avant que le couvercle ne se referme, je murmure une dernière prière :

— Dilaïens… guidez-moi vers mon Étincelle. Ne laissez pas Minty mourir.

SILIA enclenche le protocole. Le froid me gagne. La conscience me quitte.

Et tout devient… silence.

 

Chapitre 1

Un souffle d’air frais caresse ma peau me ramenant tranquillement à la conscience.

Je frémis.

Mes paupières s’entrebâillent avec lenteur, laissant filtrer une lumière tamisée, agréable, mais étrangère. Je découvre aussitôt que mon caisson est ouvert. J’inspire, l’air a une autre densité, une autre odeur.

Un monde inconnu m’accueille.

Engourdi, désorienté, je me redresse avec difficulté. Mes membres sont raides, lourds, comme si le temps s’était figé dans mes os. Je m’étire avec douceur, mes articulations craquent sous l’effort.

— Où suis-je… ?

Ma voix est rauque, étouffée par le silence prolongé de deux siècles de sommeil. Je cligne des yeux et reconnais tout de suite l’intérieur du vaisseau royal.

Tout me revient.

La fuite.

La promesse.

Minty.

Blue.

— SILIA ! m’écrié-je, brusquement, le cœur en alerte.

— Fidèle au poste, me répond l'intonation familière du système intelligent, toujours aussi calme, toujours aussi distante.

Je passe une jambe hors du caisson, posant prudemment le pied sur le sol métallique. Le froid me saisit. Mes doigts se crispent sur le rebord pour ne pas vaciller.

— Où sommes-nous ? demandé-je, la gorge nouée.

— Sur Terre. Le voyage a duré deux cents cycles, comme prévu. Aucun incident à signaler.

Sa voix coule sans émotion, une efficacité artificielle sans faille.

— Nous avons atterri hier, à Walla Walla, une ville dans un pays qu’ils appellent les « États-Unis ». Le vaisseau est en vol stationnaire, dissimulé au-dessus d’un vignoble. Mode d’invisibilité activé.

Je reste silencieux un instant, absorbant cette réalité. La Terre…

Mon esprit est encore brumeux, mais un souvenir me percute de plein fouet.

— Comment va Minty ? m’enquiers-je aussitôt que les souvenirs de notre départ précipité me reviennent à l’esprit.

— Son état est stable. Aucun signe de dégradation. La cryogénisation empêche toute évolution. Mais elle reste en sursis, Laïos.

Je hoche lentement la tête, les mâchoires serrées. Puis, chancelant, mais résolu, je me dirige vers le caisson de Blue. Je tends la main vers le capteur digital, prêt à la réveiller.

— Non !

Le cri de SILIA claque dans l’air, se réverbérant contre les parois métalliques.

Je me fige, surpris par la dureté soudaine de son ton.

— Ce n’est pas une bonne idée, me précise-t-elle d’un ton plus doux, mais ferme. Vous devez d’abord vous assurer que la Terre ne représente aucun danger pour elle avant de la libérer.

Bien sûr.

Où avais-je la tête ?

Je ne peux prendre aucun risque avec Blue. Elle est sous ma responsabilité.

Je m’écarte et, tout en chancelant, je vais m’installer sur un fauteuil. Le vitamineur se met en marche sans que je n’aie à le commander. Un gobelet s’extrait d’un compartiment et un liquide jaune, dense et luminescent s’y déverse avec précision.

— Vous devez reprendre des forces, m’annonce SILIA à l’origine de cette action.

Je m’empare de ce breuvage que je bois d’une traite. L’effet est immédiat sur mon organisme. Je me sens mieux, prêt à découvrir cette Terre, mon nouveau refuge.

— Vous devriez vous relier au serveur central. J’ai rassemblé de nombreuses informations sur la vie sur Terre qui vous seront utiles.

J’acquiesce en silence. Je tends la main et glisse mon doigt dans la fente de l’interface. Une brève impulsion électrique traverse mes connectiques.

Liaison établie.

Un torrent de données se déverse dans mon esprit. Géographie, biologie humaine, langues, systèmes politiques, réseaux sociaux, technologies primitives, mais en constante évolution…

Je trie, j’organise, j’absorbe.

Puis viennent des visages. Des hommes. Des femmes. Des enfants.

Ils nous ressemblent… mais pas assez.

— SILIA… nous avons un problème, relevé-je d’une voix grave et tendue.

Je fixe l’écran, soupire et reprends :

— Tu as dit qu’on pourrait se fondre dans la masse ! Avec notre épiderme, je ne vois pas du tout comment c’est possible. On va se faire repérer en moins de temps qu’il ne faut pour le dire !

Ma peau dorée, constellée de particules bleutées, scintille faiblement sous les néons du vaisseau. Minty, elle, arbore ce vert profond, vibrant, symbole de sa connexion à la terre. Blue est d’un bleu limpide, mêlé d’éclats d’or. Et les humains ? Leur peau varie du blanc au noir, en passant par l’ambre ou l’olive, mais aucun ne luit comme nous. Leur épiderme est mat, couvert de poils, parfois marqué de cicatrices ou de pigments.

— Pourquoi nous as-tu amenés ici ? m’agacé-je. Tu m’as promis que je trouverais mon étincelle. Que je pourrais sauver Minty !

— À l’extérieur, au pied du vaisseau, se trouve un mâle humain. Endormi. Touchez simplement sa peau. Elle se synthétisera sur la vôtre. C’est sans danger, ajoute-t-elle, comme si cela allait tout régler.

Foutu système intelligent !

Toujours une réponse logique. Jamais une once de compassion.

— Et si quelqu’un m’aperçoit ?

— C’est la nuit. Il est seul. Il n’y a pas âme qui vive à des kilomètres à la ronde. Le périmètre est sécurisé. Sa voix, cette fois, se veut rassurante.

Un léger sifflement retentit. La porte du vaisseau s’ouvre dans un chuintement mécanique. L’air nocturne s’engouffre, chargé d’odeurs nouvelles.

Je m’approche lentement, mes sens en alerte.

Les ténèbres engloutissent les environs. Ma vision s’adapte, me permettant d’observer les alentours comme en plein jour. Le paysage s’étale devant moi. Un champ, plus précisément.

Sur mes gardes, à l’affût du moindre mouvement, je descends les marches, une à une, avec prudence.

Je m’immobilise sur la dernière. Sous mes pieds, une matière verte couvre le sol. Et si cette substance irritait ma voûte plantaire ? Je me baisse, en arrache quelques brins et les porte à mon nez. L’effluve est… vivante. Fraîche. Terrienne.

Un sourire furtif me traverse.

Si ma sœur me voyait, elle rirait ! La nature c’est son élément, pas le mien. Moi, je suis le feu. Blue l’eau et Minty la terre.

Minty ! Si je veux la sauver, je dois me remuer.

L’herbe. C’est ainsi que les humains appellent cette étrange couverture végétale. Les données téléchargées m’avisent que certaines de leurs constitutions y sont allergiques, pour le reste… elle est inoffensive. Presque anodine.

Je pose enfin un pied dessus. Les brins ploient sous ma plante, et me provoquent de drôles de sensations. Des chatouillements, c’est ça ! Merci à SILIA pour toutes les informations qu’elle a emmagasinées et partagées avec moi. D’ailleurs, en relevant la tête, je m’aperçois qu’elle a dit vrai. Un humain est assoupi au pied de ce qui ressemble à un arbre. Si je vise juste, cet if est minuscule comparé aux nôtres, tout comme ce mâle qui gît sur le sol. C’est une planète miniature ou quoi ? Où ai-je atterri ? Je m’avance avec prudence vers la silhouette.

Miaou…

Je bondis sur le côté. C’est quoi ça ?

Un chat !

Je retrouve son image dans ma mémoire. Mammifère domestiqué, généralement considéré comme un compagnon de l’humain. Ils se déclinent sur plusieurs races : Persan, Siamois, Maine coon et bien d’autres.

Inoffensif, tout va bien.

Le félin, noir comme la nuit, me lance un regard désinvolte puis s’éloigne, me laissant tranquille. Je pousse un soupir, me détendant un peu.

Je reporte mon attention sur l’humain. Je me penche au-dessus de lui, ses paupières sont closes et un léger bruit sort de sa bouche.

Qu’est-ce qui provoque ce boucan ?

Des ronflements : phénomène nocturne, souvent perçu comme désagréable, notamment pour les partenaires… surtout chez les femelles.

Je grimace.

Si ce mâle a une compagne, elle doit être sourde ou profondément compatissante.

Sans perdre plus de temps, je tends la main, suivant les instructions de SILIA. Mes doigts effleurent sa peau tiède.

Une vague de chaleur s’élève. La synthèse commence.

Elle se réplique, ses caractéristiques externes se transfèrent sur mon corps dans un frisson étrange, presque dérangeant. Je ressens chaque modification. Mon épiderme se métamorphose, mes cellules imitent la pigmentation, la texture… la structure.

Quand tout s’apaise, je recule d’un pas et examine mes phalanges. Plus de couleur dorée. Plus de reflets bleutés.

Je palpe mon torse, mon ventre, observe mes jambes. J’agite mes orteils. Ils obéissent. Puis, par précaution, je vérifie mon entrejambe.

— Tout est en ordre, murmuré-je, presque soulagé.

Je suis… un humain. Extérieurement, du moins.

Mon regard se pose sur un arbuste non loin. Quelques grappes vertes pendent mollement à ses branches. J’en détache une, analyse les grains à la lueur de la lune, puis en écrase quelques-uns entre mes doigts. Une étrange matière s’y répand, collant à ma peau. Une odeur sucrée me monte aux narines, chatouille mes papilles. Curieux, je porte un grain à ma bouche. Il craque sous mes dents, libérant un jus frais, délicieux, étonnamment juteux.

D’après mes informations qui défilent dans ma mémoire, il s’agit de raisin.

Un fruit comestible. Les humains en font du vin, une boisson alcoolisée qu’ils semblent vénérer. Je devrais m’en procurer pour découvrir si c’est aussi bon que le précisent les données. En attendant, je me contente de déguster les fruits. C’est exquis ! Je termine la grappe puis je repars au vaisseau. Mieux vaut ne pas traîner trop longtemps dans le coin.

Avant de monter la première marche, je me retourne. Un détail m’a échappé.

Cet homme endosse des vêtements. Je n’en ai pas. Sur Galaïons, nous portions tous une toge. Je ne peux pas me pavaner à la lumière du jour habillé de cette manière !

Je rebrousse chemin.

De retour près de lui, je l’examine. Il est toujours plongé dans un sommeil abyssal. Il dort de manière profonde, celui-là. Quand je pense que trois heures de repos suffisent à nous requinquer et qu’eux en ont besoin de six, parfois huit, pour se sentir bien. Il passe leur temps à dormir ! Incroyable.

Une espèce conçue pour l’hibernation.

Je m’accroupis. J’attrape le bas de son pantalon, le retire doucement, surveillant ses réactions. Rien. Pas même un soupir. Il ne sent rien. Il est littéralement mort au monde.

Une haleine fétide me cueille au visage. Je recule d’un bond, le nez plissé.

— Par la comète de Zarnak…

Ce souffle est une attaque biologique. Leur hygiène buccale laisse à désirer. Je note qu’un bon désinfectant pourrait être nécessaire avant tout contact rapproché. Très rapproché. S’ils empestent tous ainsi, je plains leurs partenaires sexuels. L’acte doit devenir un exercice de tolérance extrême.

Je reprends mon œuvre et enlève son haut.

Veste, chemise. Je me laisse guider par les images archivées.

Je plaque les fringues sur mon épaule et me redresse. Pas un regard en arrière. Je l'abandonne en sous-vêtement au pied de son minuscule arbre, sans le moindre scrupule. Après tout, il a fait sa bonne action du jour. Sans même le savoir.

— Miroir, SILIA, ordonné-je une fois la porte refermée, impatient de me découvrir avec cette peau.

L’une des parois se transforme en glace argentée qui me renvoie mon reflet. Ma peau, ou plutôt celle que j’ai copiée est dorée par des heures passées sous le soleil et s’harmonise à merveille avec mes cheveux courts couleur or. Mes yeux, de la même teinte ressortent sous ce bronzage.

Je me plais en Terrien, je suis plutôt beau et séduisant. En toute modestie, je pense que je ne vais pas laisser la gent féminine indifférente, ce qui me facilitera la tâche pour dénicher mon étincelle.

— Cette peau vous va bien, Laïos, me flatte SILIA. Où avez-vous trouvé ces morceaux de tissus ?

— Sur l’humain. Je l’ai déshabillé, l’informé-je en me rendant dans la pièce d’hygiène.

Je m’empare du pantalon que je glisse dans la fente de l’appareil à désinfection. Les autres éléments suivent le même chemin. Quand les vêtements me reviennent, ils sont débarrassés de l’odeur musquée de l’individu, et prêts à être porté.

Je les enfile et grimace sur le champ.

C’est court.

Beaucoup trop.

La taille réduite des Terriens me pose un sérieux problème. La pression qu’exerce ce pantalon sur ma virilité est tout simplement insoutenable. Inconfortable. Douloureux.

Je retire le tout, de toute façon, tant que je ne quitte pas le vaisseau, je n’ai pas besoin de me plier à leurs coutumes vestimentaires.

Je retourne m’asseoir, ferme les yeux et laisse leur langue maternelle m’envahir. L’anglais que j’apprends à maîtriser en moins de cinq heures.

Parfait.

Je scanne ensuite les éléments importants et les mémorise en priorité. De son côté, SILIA m’ouvre un compte en banque à distance, qu’elle crédite généreusement.

— Vous êtes désormais millionnaire, m’annonce-t-elle, presque avec fierté.

Millionnaire ?

Si je croise cette information avec les données acquises, j’en déduis que je fais partie de l’élite économique.

 Intéressant.

SILIA me fournit également une nouvelle identité :

Laïos Miller, trente ans, résident de Seattle, une ville située à environ quatre heures de route en voiture de notre point d’atterrissage.

Aussitôt, une image s’affiche dans mon champ visuel. Un véhicule à quatre roues, propulsé par un moteur fonctionnant au carburant. Les humains en raffolent. Il en existe de toutes sortes : à essence, diesel, électrique, hybride…

Ils ont le choix. Mais pas l’ingéniosité.

Leur technologie est… primitive. Voilà ce qui arrive quand on passe la moitié de son existence à dormir. On évolue lentement.

— Est-ce que j’aurai besoin de l’une de ces machines ? demandé-je.

— Non, Laïos. Contrairement à Galaïons, la composition de l’atmosphère terrestre vous permet la téléportation locale.

Enfin, une bonne nouvelle.

SILIA a œuvré sans relâche durant les dernières quarante-huit heures pour m’assurer un atterrissage sans accroc. Non contente d’avoir analysé l’humanité sous tous les angles, elle a aussi scruté les particularités de la Terre susceptibles d’interagir avec notre physiologie. Climat, gravité, composants de l’air, agents pathogènes… rien ne lui a échappé.

Mais l’environnement ne fait pas tout.

Le véritable danger, c’est moi.

Ou plutôt, mon ignorance.

Je peux désormais me téléporter. Une capacité redevenue fonctionnelle sur cette planète, contrairement à Galaïons où l’atmosphère en bloquait l’usage. Un atout précieux, à condition de le maîtriser. Car si je ne contrôle pas précisément ma destination… je pourrais aussi bien me retrouver au milieu d’une autoroute que dans une chambre d’enfant.

Inacceptable.

Il me faut de la rigueur. De l’entraînement.

Je décide donc de retarder mon départ. Trois jours supplémentaires dans le vaisseau pour assimiler un maximum d'informations sur les comportements, les habitudes, les codes humains. Trois jours pour comprendre cette civilisation fragile, mais complexe, et apprendre à m’y fondre sans provoquer d’alerte.

 

Chapitre 2

Déjà une année que nous avons atterri sur la Terre.

Au début, m’adapter n’a pas été simple. Se comporter comme un véritable humain s’est révélé être un défi permanent. Après mon emménagement à Seattle, j’ai passé les deux premières semaines à les observer, nuit et jour, étudiant leurs gestes, leurs habitudes, leur langage, leurs silences. Ils nous ressemblent, mais leur fonctionnement est loin d’être identique au nôtre.

Eux possèdent de nombreux organes, tous indispensables à leur survie, ce qui n’est pas notre cas. En commun, nous avons le cœur, l’estomac que nous appelons réservoir et le circuit d’évacuation qui correspond à leurs intestins.

Nos appareils reproducteurs sont presque semblables, à l’exception des nervures visibles sur mon sexe qui est nettement plus gros et long que la taille moyenne d’un homme. Nous disposons également de poumons, de muscles et d’os. La couleur de notre sang est plus claire que le leur.

Et puis, il y a la longévité. Nous vivons près de trois cents ans. Dès le cinquantième cycle atteint, notre vieillissement ralentit considérablement. Leur fragilité m’impressionne par moments. Ils craignent les balles, les lames, les chocs…

Notre peau, plus dense, est naturellement résistante. Ce n’est pas de l’invincibilité. Un éboulement de roche ou une pluie de météorites, comme celle qui a ravagé Galaïons et blessé Minty, peuvent nous anéantir.

L’alimentation est un autre contraste frappant. Trois repas pour se sentir bien. Il m’en suffit d’un.

Quant à leur obsession pour les toilettes… fascinante. Ils y vont plusieurs fois par jour pour éliminer les liquides. Moi ? Une fois, avant de dormir. Je ne possède pas de reins. J’évacue l’eau par mes pores, sans odeur, sans effort. Bien plus pratique.

Mais ce qui m’a demandé le plus de travail, ce sont leurs expressions faciales. Ils communiquent avec leur visage autant qu’avec leur bouche. Cligner des yeux, hausser les sourcils, froncer le nez… autant de gestes que je ne maîtrisais pas. Chez nous, les traits restent impassibles. J’ai dû m’exercer longuement devant le miroir, apprendre à sourire, à feindre l’étonnement, à rire sans que ce soit trop mécanique.

Aujourd’hui, je m’en sors plutôt bien. Je contrôle même ce qu’ils appellent le « sourire charmeur », celui qui fait briller les yeux. Le mien semble amplifier la couleur de mes iris, les faisant luire d’un éclat doré. Plusieurs femmes m’ont fait remarquer cet effet. Il me plaît. Il me rend… humain, presque.

Ah ces filles !

Elles détonnent et demeurent à des années-lumière des nôtres qui paraissent bien trop sages à côté ! Jamais je n’aurais pu imaginer une telle chose à leur égard la première fois que j’ai posé mes pupilles sur l’une d’entre elles ! Elles n’ont aucune limite !

Aucune !

Elles sont chaudes comme les braises n’ont aucune retenue et leurs désirs éclatent sans pudeur, à en croire les innombrables films que j’ai visionnés depuis mon arrivée.

Le sexe semble divin avec elles. Une véritable explosion sensorielle. Il me tarde de dénicher mon étincelle pour enfin le vérifier. Parce que bon… les plaisirs en solitaire, ça va un moment ! Le hic, c’est que, contrairement aux terriens, je ne peux pas m’unir à une femelle juste pour le plaisir. Mon corps me l’interdit. C’est biologique. S’il ne reconnaît pas celle qui m’est destinée, il se bloque. Littéralement. Rien ne se passe.

Trouver celle qui me correspond se révèle être un parcours du combattant ! SILIA m’affirme qu’elle se trouve à Seattle. Seulement, cette ville est immense et saturée de femelles. J’en ai charmé, courtisé, dragué des tas, en vain. Aucune n’a embrasé mon cœur. Quelle plaie ! J’avais naïvement cru que dans une ville aussi grande, la rencontre serait facile. Je me suis lourdement planté.

Je mets pourtant toutes les chances de mon côté. Chaque soir, je sors. Bars, pubs, lounges branchés… je les ai tous écumés. J’y reste jusqu’à pas d’heure. Je bois. Beaucoup. Je discute, je fascine, je collecte des numéros de téléphone qui finissent dans la première poubelle que je croise.

L’alcool, parlons-en. J’ai goûté tous les breuvages qu’ils servent dans ces établissements. Vin, whisky, vodka, rhum arrangé… rien. Pas un effet.

Sur eux, ça les rend joyeux, désinhibés ou carrément incohérents. Moi ? J’ai sifflé trois bouteilles de vin le soir de mon emménagement. Résultat ? Rien. Aucune ivresse. Zéro euphorie. Juste… une nuit de sommeil. Et des draps trempés au réveil. Littéralement. Mon corps avait évacué des litres d’eau.

Pour un humain, ce genre de consommation aurait mené tout droit au coma éthylique. L’individu que j’avais trouvé au pied de la vigne en est un bon exemple : complètement ivre, inconscient, puant l’alcool à plein nez. Les relents qui s’échappaient de sa bouche ce soir-là étaient infects. Rien que d’y repenser, ça me retourne le réservoir.

Au cours de l’année écoulée, je n’ai pas chômé. Bien au contraire. Certes, je n’ai pas déniché ma moitié, mais je suis devenu un maître de la finance à défaut d’être un roi sur Galaïons.

Je m’apprête à me rendre dans mes bureaux pour donner une formation gratuite à une centaine de terriens désirant suivre mes traces. En tant que l’un des meilleurs tradeurs au monde, je suis sollicité de toutes parts. Depuis trois mois, je n’ai plus une minute à moi, et j’ai désespérément besoin de temps. Je n’oublie pas ma quête ! C’est pourquoi j’espère créer une équipe d’élite pour me décharger de cette masse de travail qui s’abat sur mes solides épaules sans que je n’aie vraiment eu à lever le petit doigt.

Je pourrais réveiller Blue et lui apprendre les tenants et les aboutissants du système financier mondial, seulement, je ne pense pas que ce soit une bonne idée. Je n’ai pas l'énergie ni l’envie de gérer une femelle de vingt ans qui, par sa beauté, risque d’attirer tous les mecs en rut à des kilomètres à la ronde. Au moins, dans le caisson, elle est en sécurité et je ne m’inquiète pas pour elle. De plus, je ne sais absolument pas comment le lien va fonctionner pour Blue. Sur Galaïons, il s’établissait par le mâle. Ici, je doute que le cœur de l’humain s’embrase dès qu’il sera face à ma sœur.

Quant à Minty, son état ne s’est pas détérioré. SILIA avait vu juste : tant qu’elle reste en cryogénisation, tout va bien. Cette information cruciale me rassure d’une certaine manière, car elle me laisse le temps de trouver mon étincelle et de profiter d’elle avant de créer une descendance. Je ne veux pas engendrer un prince ou une princesse dans le seul but de sauver Minty. Non, ce petit ange sera le fruit de notre amour, désiré et attendu.

Lorsque j’ai quitté Galaïons pour la Terre, mes pensées étaient confuses. Cependant, cette année d’acclimatation m’a permis d’aborder les choses différemment. De plus, j’ai remarqué que les humaines ne cherchent pas nécessairement à fonder une famille au plus vite. Elles prennent leur temps. Les femmes attendent d’être prêtes. Et surtout, elles peuvent donner la vie autant de fois qu’elles le souhaitent. Contrairement aux nôtres, qui n’ont que cinq chances.

Cinq fenêtres au cours de leur existence : lors de leur vingtième, vingt-cinquième, trentième, trente-cinquième et quarantième cycle. La plupart n’ont que deux enfants. Les chanceuses dépassent ce nombre. Mais il faut que le cœur du mâle s’embrase très tôt.

Mère a rencontré Père juste après son vingt-cinquième cycle et a donné naissance à trois galaïens. Moi, l’héritier du trône. Et mes sœurs, Minty et Blue.

Je jette un coup d’œil à la montre qui orne mon poignet : une élégante Rolex, clin d’œil au prestige terrien. Huit heures moins deux. Il est temps de quitter mon nid.

Je traverse ma vaste demeure. Trois cents mètres carrés de calme et de raffinement pour rejoindre l’entrée. Portefeuille en main, je ferme les paupières. Une seconde plus tard, je me matérialise au cœur d’un bosquet du parc situé à quelques pas du bâtiment abritant mes bureaux.

La téléportation : un art que j’ai appris à maîtriser après bien des échecs… et quelques incidents diplomatiques avec les infrastructures.

Au début, c’était catastrophique. J’atterrissais sur les toits, suspendu aux branches des arbres, ou pire, en plein milieu d’une autoroute. Ce jour-là, j’ai provoqué un carambolage monumental. Un individu qui surgit de nulle part sur une voie rapide ? Inattendu, même pour les plus téméraires.

Je ne suis pas fier de cet exploit ! Heureusement, il n’y a eu que de la tôle froissée. Les conducteurs ont tous rapporté la même chose aux agents de police : « un homme est apparu devant eux comme par magie, et ils ont pilé net ! »

En réalité, j’étais à quelques mètres et je suis aussitôt reparti pour ressurgir derrière le talus. J’ai aidé les gens à évacuer leur véhicule et j’ai mis le plus choqué en sécurité jusqu’à l’arrivée des secours.

Une autre fois, j’ai eu la mauvaise idée de viser trop bas. Résultat ? Les égouts. L’accueil était… vivant. Une nuée de rats m’a sauté dessus. J’ignore pourquoi ces créatures inspirent un tel dégoût, mais rien que leur contact m’a filé des frissons. J’ai fui ce trou nauséabond sans demander mon reste.

Depuis, j’ai affiné mes coordonnées. Chaque téléportation est désormais un ballet millimétré. Ou presque. Il m’arrive encore de sentir une branche trop proche ou de poser le pied sur une pelouse fraîchement arrosée. Mais au moins, je n’atterris plus en pleine circulation.

Je jette un œil autour de moi et quitte les fourrés pour rejoindre les allées qui sillonnent le parc. À cette heure matinale, elles sont empruntées par les joggers qui foulent le gravier humide, cherchant à repousser leurs limites avant le tumulte de la journée. Les familles, elles, viendront plus tard pour profiter de l’ombre offerte par les arbres majestueux qui bordent le parc, bien que toujours plus petit que chez nous. Sans oublier l’immense aire de jeux sur laquelle les petits terriens adorent se défouler pendant que les mamans papotent entre elles. Ce parc est souvent plein de vie et j’adore m’asseoir sur un banc et observer la manière dont les humains interagissent entre eux. Les mamans chérissent leurs gamins, mais beaucoup d’entre elles sont exténuées par l’attention constante que ces derniers leur demandent.

Il n’y a pas de terrain de jeux sur Galaïons. Et j’avoue, une nuit, j’ai cédé à la curiosité. Les balançoires m’ont conquis. Le toboggan, en revanche, surtout ce modèle fermé comme un tunnel, a été une épreuve… étroite et angoissante. Heureusement, personne ne m’a vu. Un homme d’une trentaine d’années, hilare sur une balançoire sous la lune… quel tableau absurde cela aurait été ! Rien que d’y repenser, je souris.

Je croise un jogger, haletant, qui peine à respirer. Un débutant sans aucun doute. Je salue intérieurement la témérité de certains qui usent de tous les stratagèmes pour garder la forme. Pour ma part, pas besoin d’exercice pour ça. Que je pratique du sport ou non, ma silhouette ne changera pas. Mon corps s’autorégule.

Les nutriments sont parfaitement distribués, et les graisses sont éliminées avant même de s’installer. Un avantage de notre physiologie, et sûrement le rêve secret de bien des Terriens.

Je me dirige vers l’immeuble abritant mon entreprise tout en consultant mentalement la liste des cent participants à la formation. Je sais déjà qu’à la fin de la journée nous serons moins nombreux. J’ai établi ce programme en collaboration avec SILIA et il va me permettre de sélectionner rapidement ceux qui pourront intégrer ma société, Galaïons, du nom de ma planète perdue.

— Oh merde, zut, pardon ! s’excuse une voix féminine.

Une jeune femme vient de me percuter de plein fouet, renversant son gobelet brûlant sur ma tenue. Elle tente aussitôt de nettoyer les dégâts, tapotant mon tee-shirt d’un blanc désormais douteux avec une serviette ornée du logo vert d’une célèbre chaîne de cafés. Elle poursuit son pseudo-nettoyage sur mon jean brut, s’attardant un peu trop sur mon anatomie qui se manifeste. Merde, ce n’est ni le lieu ni le moment !

Je n’ai pas le temps pour un plaisir solitaire, pas du tout ! Je dois m’assurer que tout est en place avant l’arrivée de mes élèves et cet incident va me retarder.

— Pardon, je suis confuse. Zut ! Je ne voulais pas vous tripoter, bredouille-t-elle sans me regarder, honteuse d’avoir osé effleurer mon intimité.

Je garde mon calme, presque amusé. Sa maladresse est désarmante, son embarras palpable. Mon sourire se dessine tout seul, tandis qu’elle s'évertue à frotter inutilement le tissu détrempé.

— Quelle journée désastreuse, murmure-t-elle en ramassant son gobelet égaré sur le sol.

Puis, enfin, elle relève la tête. Et nos regards se croisent.

Elle est superbe. Sa peau couleur crème contraste avec une chevelure rouge flamboyant dont les mèches encadrent un visage aux traits délicats. Une robe bleue sans manches épouse ses formes avec une élégance naturelle. Son regard, à la fois vif et désolé, me transperce l’espace d’un instant.

— Vraiment, je suis navrée, continue-t-elle de s’excuser alors que je lui offre un sourire un peu niais.

Sourire qui, visiblement, la déstabilise.

Elle paraît minuscule à mes côtés. Pourtant, elle a une taille tout à fait convenable pour une humaine. Elle mesure environ un mètre soixante-dix, seulement, je culmine à deux mètres, alors elle doit lever la tête pour arrimer ses prunelles vertes aux miennes.

— Pourquoi vous restez là à sourire bêtement au lieu de me hurler dessus ? demande-t-elle, reculant d’un pas… et écrasant par inadvertance le pied d’un passant qui, lui, ne s’en amuse pas.

— Putain, mais faites attention ! vocifère-t-il en lui décochant un coup de coude dans les côtes.

Elle laisse échapper un cri de douleur. Mon sourire s’efface instantanément.

Je pivote, tends le bras, saisis celui de ce malotru et le force à revenir à notre hauteur.

— Excusez-vous, exigé-je froidement.

— Pardon ? C’est plutôt elle qui devrait s’excuser ! Cette fille est un vrai danger public ! s’emporte-t-il, me lançant une œillade noire.

Il ne sait pas à qui il parle.

— Excusez-vous, répété-je plus fermement, en le fixant méchamment.

Mes iris dorés s’assombrissent, se couvrant d’une lueur peu engageante. La rage y transparaît et un brasier sommeille au fond de mes entrailles.

— Ce n’est rien ! tente de me calmer la lionne à la crinière de feu.

L’homme blanchit sous ma poigne.

— Pardon, je suis désolé, je n’aurais pas dû vous frapper, balbutie-t-il en évitant de croiser mon regard.

Je le relâche et il s’enfuit comme s’il avait le diable à ses trousses.

— C’est ça, casse-toi sale connard prétentieux !

— Vous n’étiez pas obligé, mais merci. Je m’appelle Mélina m’apprend-elle en me tendant sa main aux ongles impeccables et vernis de bleu.

J’aime beaucoup sa manucure, en particulier ce bleu pailleté qu’elle a choisi. Il m’hypnotise quelques secondes avant que je ne reporte mon attention sur la beauté qui m’a heurtée, oubliant momentanément mon entreprise et mes élèves.

— Laïos, me présenté-je à mon tour en saisissant sa main.

— Vous… vous serrez un peu trop fort, grimace-t-elle en tirant son bras sur l’arrière.

— Pardon ! Désolé… Mélina, m’amendé-je en la lâchant.

Quel con ! Je devrais faire plus attention. Les humains sont beaucoup plus sensibles à la douleur que nous, leurs os bien plus fragiles également.

— Oh non ! Je suis super en retard maintenant, mon boss va me tomber dessus, m’informe-t-elle en esquissant un pas sur le côté pour me contourner.

— Comment ça vous tomber dessus ? ne puis-je m’empêcher de lui demander, les sens en alerte.

— M’enguirlander, quoi.

— Vous enguirlander ? la questionné-je en haussant les sourcils.

Ce mot ne demeure pas dans mes données et j’ai l’air d’un sombre idiot devant cette déesse. Merci SILIA !

— M’engueuler, précise-t-elle. Bref, je dois vraiment y aller. C’est une question de vie ou de mort, ajoute-t-elle dramatiquement.

Comment ça ? Quel que soit cet humain, il ne touchera pas à un seul de ses cheveux ! Je ne laisserai jamais ça arriver, jamais.

— Personne ne va vous tuer, croyez-moi ! affirmé-je en lui emboîtant le pas sans réfléchir, ignorant le travail qui m’attend et qui n’a plus grande importance pour l’instant.

— Mais qu’est-ce que vous fichez ? me demande-t-elle en s’arrêtant net.

Son regard s’assombrit et elle se décale pour mettre de la distance entre nous. Elle me craint ! Zut, ce n’est pas bon signe. Je ne veux pas qu’elle ait peur de moi. Mais d’un autre côté, elle n’affrontera pas ce meurtrier seule !

— Je vais éliminer ce type avant qu’il ne vous tue, expliqué-je avec sérieux.

— Quoi ? Mais non ! Il… il ne va pas me tuer, genre…

Elle mime un geste d’égorgement avec un sourire gêné.

Charmant.

Mon réservoir se noue. Ces humains sont barbares…

Il est hors de questions que Minty et Blue sortent de leur caisson. Ce monde est bien trop violent ! Comment Mélina et toutes les femelles arrivent-elles à rester en sécurité avec de tels barjots ?

— Il va juste me préciser que je manque de professionnalisme. Tout va bien, ajoute-t-elle en s’avançant pour poser l’une de ses mains sur mon avant-bras, mais elle se ravise à la dernière seconde. Je vous assure, tout ira bien.

Vu la manière dont son cœur s’affole, je ne suis pas certain qu’elle ne coure aucun danger. Impossible de la laisser affronter son boss seule.

— Je vais m’assurer en personne que vous ne risquez rien, insisté-je, ne souhaitant pas l’abandonner aux prises d’un tueur.

Avec délicatesse, je place ma main dans le bas de ses reins pour qu’elle m’ouvre le chemin, ne lui laissant aucune chance de m’échapper. À son air consterné, elle me prend pour un fou.

Si seulement elle savait !

Je mettrais la Terre à feux et à sang pour elle maintenant qu’elle a embrasé mon cœur.

Mélina est mon étincelle.

Je l’ai enfin trouvée et je ne laisserai personne la blesser !


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