Adèle K auteure

Pink Maple cadeau

  1. Prologue

D’une oreille distraitement attentive, j’écoute Evie, ma jumelle, qui me fait part de l’agenda de notre week-end. Je le connais par cœur, puisque c’est toujours plus ou moins le même depuis notre entrée au lycée. La matinée du samedi réservée aux devoirs, suivie d’un après-midi shopping avec notre bande d’amis et du match de hockey de Camden, notre grand frère. Le dimanche, nous nous accordons une grasse mat’ avant de sortir à nouveau avec les potes.

Je devrais préciser qu’il s’agit de ses copains, parce qu’en toute honnêteté, je me passerais bien de ces moments avec eux. Toutefois, Evie s’en fiche de mes états d’âme et m’oblige, bon gré mal gré, à l’accompagner lors de chacune de ses escapades durant lesquelles je m’ennuie au plus haut point. Pourquoi je m’inflige ça ? Car Evie ne va pas sans Grace. Une dynamique qui nous suit depuis notre naissance et que j’aimerais briser afin d’exister indépendamment pour découvrir qui je suis vraiment.

Bientôt, enfin je l’espère…

Nous arrivons à la maison après notre journée de cours. Il nous en reste peu avant le passage de l’examen, le High School. Dans exactement deux semaines, nous pourrons dire adieu au lycée, à condition d’obtenir le diplôme. Je me gare à côté du garage et nous descendons de notre citrouille. Comme nous sommes toujours ensemble, nos parents n’ont pas jugé nécessaire que nous ayons chacune notre propre véhicule. Nous la partageons donc. La plupart du temps, je joue le rôle de chauffeur pour Evie qui n’aime pas conduire, ou plutôt, qui déteste carrément ça. Notre carrosse est une Chevrolet Cruze Hatchback, version hayon, couleur orange pétante dont je me serais volontiers passée.

Qui a choisi ? Evie, bien entendu. D’après elle, comme nous sommes uniques, nous avions besoin d’une voiture à notre image. J’ai cherché à la dissuader de prendre une teinte si clinquante et tape à l’œil, mais évidemment, comme souvent, j’ai abandonné lorsqu’elle m’a cité tous les avantages de posséder une auto ressemblant à une citrouille. De toute façon, je n’obtiens jamais le dernier mot. J’adore ma jumelle, mais elle m’épuise et c’est pire depuis notre entrée au lycée. Son caractère déjà bien dominant n’a cessé de se renforcer. Si avant je parvenais un tant soit peu à me faire entendre, désormais c’est devenu impossible et j’en souffre, cependant Evie ne semble pas le remarquer.

— Maman, nous sommes rentrées, crie Evie à peine avons-nous ouvert la porte.

Nous sommes accueillies par les deux petits monstres qui font le bonheur de notre famille depuis bientôt deux ans. Camy et Aiden, notre neveu et notre nièce. Les jumeaux de Camden et de Faith, sa femme que j’adore. J’admire son courage, elle est passée par des phases très difficiles et n’a jamais baissé les bras. Elle est un exemple pour moi qui peine à m’imposer auprès d’Evie.

— On vous a repérées à quinze mille kilomètres, rétorque notre frère à moitié hilare en venant à notre rencontre tandis que nous soulevons chacune un petit.

Je mange le cou de Aiden qui rit aux éclats. Je les aime tellement mes deux amours que je pourrais les serrer dans mes bras toute la journée. Leurs minuscules joues rouges et rebondies donnent envie de les croquer encore et encore. Camden donne une accolade à Evie puis arrive mon tour. Comme chaque fois que nous le croisons, il ébouriffe mes cheveux et m’offre un immense sourire, ravi de sa bêtise. Camden, c’est le grand frère que beaucoup rêveraient d’avoir. Il est protecteur, attentionné et prêt à tout pour nous rendre heureuses.

— J’ai reçu des lettres pour vous, les filles, nous annonce notre mère, Pearl, tandis que nous nous enfonçons dans le salon où elle est assise avec Faith.

Nous devons à notre maman, nos grands yeux bleu marine, ainsi que nos cheveux blonds frisés. Notre teint hâlé, que nous adorons parce qu’il met en valeur notre regard, nous vient de notre père Orion. Il gère la scierie familiale et ne devrait rentrer qu’en début de soirée. Evie et moi, jumelles monozygotes, nous ressemblons comme deux gouttes d’eau. La seule chose qui nous différencie, c’est le petit grain de beauté qui borde mon iris gauche et les oreilles légèrement décollées de ma sœur. De subtiles démarcations qui se voient uniquement en y prêtant une grande attention. Nos proches, eux, ne se trompent que très peu. Ils savent nous discerner. Il est arrivé à mon frère de nous confondre, cependant, je ne lui en ai jamais tenu rigueur.

Notre mère nous embrasse et nous donne à chacune une lettre. Je repose Aiden au sol et fixe le cachet de la poste. Mon cœur s’emballe quand je vois écrit en toutes lettres Toronto. Je la serre fermement et la presse contre ma poitrine, comme si ce geste pouvait changer mon destin scellé dans cette enveloppe. J’enlace ma belle-sœur qui s’est levée pour nous accueillir et sursaute lorsque Evie s’écrie :

— Je suis prise à l’université de Vancouver et mon premier choix a été validé. Économie internationale, s’exclame-t-elle, les yeux à moitié larmoyants, sans même avoir dit bonjour à Faith.

Elle reçoit les félicitations de notre entourage et les miennes. Je la serre contre moi et lui souris, heureuse pour elle.

— Allez Grace, ouvre la tienne. Si j’ai été acceptée, tu le seras aussi. J’ai tellement hâte de commencer ce nouveau chapitre de notre vie ensemble. Ça va être dément. À nous les fêtes universitaires et les beaux mecs, crie-t-elle en omettant les filtres.

Mon frère pâlit à l’évocation de potentiels petits amis. Il nous voit toujours comme des fillettes de dix ans. Je pense qu’à cet égard, il surpasse notre père. Ce dernier a parfaitement compris que nous grandissons et devenons des jeunes femmes qu’il devra un jour accompagner à l’autel.

— Mais allez, qu’est-ce que tu attends ? me demande-t-elle en m’arrachant la lettre des mains.

— Eh ! Rends-la-moi ! m’offusqué-je en tentant de la récupérer.

En vain, elle esquive ma tentative et s’enfuit en courant.

— Evie ! hurlé-je, merde Evelyn, tu n’as pas le droit…

Je n’utilise l’intégralité de son prénom que lorsque je suis en colère, et là, elle dépasse les bornes ! Je voulais découvrir la réponse seule, à l’écart de tous, mais elle me prive de mes désirs, pour ne pas changer. Comme toujours, je me dois de suivre ses plans et ses caprices.

— Evie, crie Camden qui l’a poursuivie. Grace a raison, tu n’as pas le droit d’ouvrir son courrier.

— Trop tard, s’amuse-t-elle en brandissant la lettre qu’elle place devant ses mirettes.

Ses yeux s’agrandissent de surprise à la lecture et ses mains commencent à trembler. J’assiste à la transformation de son visage, si semblable au mien. La rage, mêlée à la déception et à la trahison, s’affiche sur ses traits. Je crois ne l’avoir jamais vue dans cet état, et je suis soulagée que l’imposante carrure de Camden nous sépare. Elle relâche la lettre qui virevolte et s’échoue aux pieds de notre frère qui se baisse, la ramasse et me la rend.

— Mais qu’est-ce que tu as fait ? hurle-t-elle en contournant mon frère et en me pointant du doigt. Gracelyn Rose Rowe, qu’as-tu fait ? se répète-t-elle en agrippant mon tee-shirt et en me secouant comme si j’étais un prunier.

Malgré mon manque de réaction, je remarque tout de même qu’elle a prononcé mon nom en entier et pour couronner le tout, elle a ajouté mon second prénom, Rose que j’adore tout autant que Gracelyn. Le second de ma sœur est Rubis, qu’elle dit détester. D’ailleurs, elle n’aime pas non plus Evelyn et elle me propose souvent d’échanger nos prénoms. Sur ce point, je n’ai jamais cédé. Chacune son identité. Elle essaie déjà de changer ma personnalité parce qu’elle me trouve trop taciturne, pas assez joyeuse et bien d’autres choses. C’est amplement suffisant !

— Evie, lâche-la tout de suite, crient ma mère et mon frère en même temps.

Ce dernier intervient pour nous séparer. Des larmes me montent aux yeux en la voyant si en colère et déçue. Pourtant, je tiens bon, j’ai choisi en connaissance de cause. Je voulais le meilleur, et surtout sans elle. Il est temps pour moi de m’épanouir loin de ma jumelle, de me retrouver et de cesser de mettre de côté mes valeurs et ma personnalité pour lui faire plaisir. J’ai besoin de vivre mes propres expériences, sans elle.

— Pour une fois Evie, je me suis choisie en plaçant mon avenir en priorité, lui expliqué-je sans le moindre cri.

— Mais pourquoi Toronto alors que l’université de Vancouver propose ce programme ? m’interroge-t-elle, sa voix toujours empreinte de colère et d’incompréhension.

— Pour m’émanciper de toi, tout simplement. J’en ai marre que tu décides pour nous, que tu me contrains à faire des choses que je ne souhaite pas. Tu m’étouffes, claqué-je en tournant les talons, la tristesse ruinant mes joues.

Sans un regard pour ma famille, je monte me réfugier dans ma chambre que je ferme à double tour et m’effondre sur le lit. Je fixe le plafond et compte jusqu’à dix tout en inspirant et en expirant afin de me calmer. Technique que mon frère utilisait autrefois quand tout devenait trop pour lui.

— Grace ? m’appelle-t-il en frappant à ma porte quelques minutes plus tard.

Je me redresse et je vais lui ouvrir. Il entre et referme derrière lui, puis il m’étreint longuement. Je ne dirais pas que Camden me préfère à Evie, mais nous avons toujours été très proches. Peut-être à cause de ma personnalité. Je suis de nature assez calme tandis qu’Evie est plus turbulente et je l’avoue usante. Depuis notre plus jeune âge, elle a eu tendance à attirer l’attention sur elle et moi, je m’effaçais. Mes parents n’allaient pas sans cesse dans son sens et souvent ils lui demandaient de me laisser parler afin que je puisse aussi partager mes idées. Le week-end, quand nous devions sélectionner le film de la soirée, ils me sollicitaient en premier et elle ronchonnait, car c’était soi-disant moi qui décidais tout le temps. Du grand n’importe quoi lorsque j’y repense, car une fois encore elle me donnait une liste et je piochais dedans. Je détestais que nous nous disputions, ça me brisait le cœur et me minait constamment le moral. Mon frère était habituellement là pour me réconforter, mais il avait aussi ses propres soucis à gérer avec son père Henri qui devenait toxique pour lui.

— Ça va aller ma puce. Tu as fait le bon choix Grace, n’en doute pas. Quoi qu’elle puisse penser, tu as pris le chemin qui te semblait le plus judicieux pour ton avenir et surtout pour toi.

Mon frère le savait, il se trouvait avec moi lorsque j’ai envoyé ma demande. Il m’a encouragée parce qu’il a compris mon besoin de liberté. Mes parents le savaient aussi et m’avaient tout de même conseillé d’en parler avec Evelyne pour justement éviter cette crise.

— Elle me déteste, me plains-je contre son torse… c’est douloureux Camden.

— Elle va finir par le comprendre et accepter. Ne t’inquiète pas. Elle est blessée que tu ne lui en aies pas parlé et surtout que tu aies décidé par toi-même.

— Tu connais la raison de mon silence.

J’ai gardé ma bouche fermée parce qu’elle m’en aurait dissuadée et, comme je suis incapable de lui tenir tête, j’aurais cédé et abandonné mon projet pour suivre le sien. Ma sœur a oublié une chose essentielle, nous ne formons pas qu’une. Quoi qu’elle en pense, nous pouvons nous dissocier, nous sommes jumelles, pas siamoises. J’ai le droit d’avoir mes propres idées et envies.

— Ouais… souffle-t-il en posant un baiser affectueux sur mon front. Allez Gracie, souris, tu as reçu une super nouvelle que nous devons fêter.

— La fête est gâchée. Je n’ai pas le goût de célébrer ça avec une personne qui n’est pas fichue de se réjouir pour moi. Je suis tellement déçue, Cam, m’étranglé-je… je savais qu’elle… qu’elle ne sauterait pas au plafond, mais je ne m’attendais pas à cette réaction.

— Elle était juste choquée et plus encore, déstabilisée que tu aies pris des décisions sans la consulter, tente-t-il de me rassurer.

Je hoche la tête, car il y a une part de vérité dans ses propos. J’espère seulement que ma sœur comprendra les raisons de mon choix.

 

Chapitre 1

Un été pire que celui-ci ? Impossible ! Ce dernier a été invivable. Depuis la réception de notre lettre, Evie m’a à peine adressé la parole et m’a évitée autant qu’elle le pouvait en sortant avec ses amis. L’ambiance à la maison a été chaotique et l’est encore, malgré l’implication de nos proches qui tentent chaque jour de désamorcer les tensions.

Seulement, Evelyn, coriace et blessée par mes agissements qu’elle considère comme une trahison, n’a pas voulu mettre de l’eau dans son vin et les disputes se sont enchaînées. Elle ne me parle plus, elle m’aboie dessus comme un chien enragé, surtout lorsque nos parents s’absentent. J’ai essayé d’apaiser la situation en lui expliquant que je souhaitais juste expérimenter la vie en solo, que ça ne constituait pas un crime et que je ne l’abandonnais en aucun cas. J’ai évoqué internet et les nombreux réseaux sociaux qui nous permettent de rester connectées pour la raisonner. Elle soutient que ça ne sera pas pareil et qu’elle se moque de tout ça puisqu’elle ne me pardonnera jamais.

J’ai versé de nombreuses larmes… Evie ne les mérite peut-être même pas, du moins je le pense. Je ne la comprends plus, j’ai l’impression de… je ne sais même pas… parfois, l’idée que l’on ressemble à un de ces couples au bord du divorce qui ne se supporte plus me traverse l’esprit. C’est triste, vraiment, et pathétique.

Dans moins d’une heure, je vais quitter Vancouver pour Toronto et j’ai qu’une hâte : m’envoler pour m’éloigner d’elle. Jamais je n’aurais pu imaginer en arriver là alors que nous étions unies comme les doigts d’une main.

Je sais qu’elle ne m’accompagnera pas à l’aéroport. Le sujet a été évoqué hier soir lors du dîner avec notre famille et elle a répondu avec véhémence :

« Non, je ne viendrai pas, j’ai des choses de prévues. Moi aussi je fais mon entrée à l’université, au cas où ça vous aurait échappé. »

Tout le monde a tenté de la faire changer d’avis, mais elle est trop obstinée pour céder. Ses réactions me touchent et me blessent. Elle piétine mon cœur, mais elle s’en contrefiche, au contraire, elle se réjouit de me voir désemparée. Je ne l’imaginais pas en jumelle maléfique, pourtant depuis des semaines, elle me montre ce visage que je déteste.

Je boucle ma valise qui pèse une tonne, puis la seconde qui est aussi lourde, et je remplis la troisième. J’embarque tout. Je vide mes placards comme si je ne comptais jamais revenir. Honnêtement, si je n’étais pas autant attachée à ma famille, je ne remettrais plus les pieds à Vancouver. Mais il m’est impossible d’ignorer mes parents que j’adore, mon frère, ma belle-sœur et encore moins mes poussins, Aiden et Cami.

Je file dans la salle de bains que je partage avec ma sœur, un Vanity à la main. Devant l’armoire que je viens d’ouvrir, je passe en revue tous les produits que j’appliquais sur mon visage pour ressembler à ma jumelle qui ne sort jamais sans maquillage. Quand j’y pense, je n’ai jamais été foutue de m’affirmer. Jamais ! Je claque la porte, en fin de compte, tout ça, ces produits de beauté, ce n’est pas moi, c’est Evie. Je n’emporte donc que mon baume qui sent la pêche et qui donne à mes lèvres une jolie couleur tout en leur apportant de la brillance. Plus un mascara noir qui sublime mon regard. Le peigne, ma brosse à dents, un tube de dentifrice, du déo, du shampoing et du gel douche finissent aussi dans la trousse. Maman avait fait un stock exprès pour mon départ et je l’en remercie, je ne devrai pas tout acheter une fois arrivée. Alors que je sors de la pièce, Evie se tient devant moi, apprêtée, sur le point de déguerpir. Elle me jette un regard torve, avant de s’éclipser.

Son comportement me blesse. Je pensais sincèrement qu’elle finirait par se raisonner, mais non ! Elle est têtue. Je hausse les épaules qui, depuis quelques mois, pèsent une tonne. J’ai l’impression de porter un fardeau que j’espère laisser à l’aéroport. Je retourne dans ma chambre et je fourre la trousse de toilette dans la troisième valise. Me voilà prête à quitter Vancouver.

— Un coup de main ? me propose mon père sur le seuil de ma chambre.

— Volontiers ! Pour être honnête, je n’arriverai jamais à descendre ces deux-là, annoncé-je en pointant les deux bagages plus volumineux.

Mon père les empoigne et les emmène au bord de la cage d’escalier grâce aux roulettes. Je saisis la plus petite, jette un dernier regard à la pièce qui, jusqu’à il y a encore quelques heures, était mon refuge. La gorge nouée, je ferme la porte. J’ai choisi de tout plaquer, il n’en reste pas moins que c’est angoissant et douloureux de quitter un cocon dans lequel je me sentais bien. Mon père me rejoint et me donne une pichenette sur le nez avant de m’enlacer.

— Je t’aime ma puce et même si ces derniers mois ont été difficiles, je suis heureux que tu aies tenu tête à ta sœur.

— Tu crois qu’elle m’en voudra ad vitam aeternam ?

— Je ne l’espère pas ma chérie. Allez, viens, il est temps que tu ailles explorer cette nouvelle vie qui te tend les bras. Laisse-moi descendre celle-ci aussi.

Il soulève la valise et commence son chemin vers le rez-de-chaussée, moi sur ses talons. En bas des marches, tandis qu’il se dirige vers la porte de garage, je retrouve ma mère dans la cuisine qui bourre mon sac à dos d’en-cas pour le voyage.

— Tiens ma puce. J’y ai mis plein de gâteaux, m’informe-t-elle en me le donnant.

Mon Eastpack est rempli de toutes sortes de friandises, biscuits, bonbons, barres chocolatées. Avant de le refermer, j’y glisse mon iPad qui chargeait sur le plan de travail, ainsi que le chargeur et mes écouteurs.

— Tu as peur que je meure de faim ? la taquiné-je en zippant le sac.

— En effet, rit-elle.

Elle comble le petit espace, avance un bras et me serre fortement contre elle. C’est un câlin gonflé d’amour et aussi quelque part de douleur. Même si maman n’est pas contre mon projet, je sais qu’elle est attristée par mon départ. Elle me relâche puis dépose un baiser sur ma joue.

— Allez, l’heure de voler vers d’autres horizons a sonné. Je suis fière de toi, Grace.

Le trajet jusqu’à l’aéroport se déroule dans le silence. Je fixe l’extérieur et je ne vais pas mentir, je tergiverse. Ai-je raison de partir ? Vais-je m’en sortir toute seule, sans Evie ? Moi, la solitaire, vais-je réussir à me faire quelques amis comme je l’ai promis à mon frère ? Vais-je aimer Toronto, cette ville que je n’ai visitée que quelques fois lorsque Camden jouait pour les Maple Leafs ? Les cours vont-ils me plaire ? Tant de questions absurdes. Pour maintenant, impossible de reculer. Je me retrouve au pied du mur, autant se lancer.

Dans le hall, la foule est dense. Je remarque de nombreux jeunes qui, comme moi, quittent Vancouver pour étudier ailleurs. Avec mes parents, nous procédons à l’enregistrement de mes bagages, puis je présente mon passeport et mon billet à l’hôtesse. Je voyage en première classe, merci à Camden qui me l’a offerte. Après une dernière étreinte et la carte d’embarquement bien en main, je me dirige vers la zone de contrôle sans me retourner. Je ne peux pas. Jusqu’à présent, j’ai réussi à rester forte, je n’ai pas versé une larme et je sais que si je les regarde, mes yeux vont s’embuer. Une fois la douane passée, je patiente dans un petit espace réservé aux voyageurs de première classe. Une hôtesse me propose du champagne que je refuse, tout comme les toasts. Je n’ai besoin de rien et puis dans moins de dix minutes, ils vont procéder à l’embarquement. Dix minutes, c’est assez court en règle générale, mais long quand les doutes persistent. Je m’agace.

Bon sang Gracelyn Rowe, tu pars pour une raison et c’est la bonne, me flagellé-je mentalement.

La gentille hôtesse ouvre la porte et m’informe que le moment est venu. Je remets mon sac sur mon dos et je marche à ses côtés. Toronto, nouvelle vie, me voilà.

 

Chapitre 2

J’ai occupé mon vol à dormir et à effectuer des recherches sur des sujets que l’université m’a envoyés. Déjà des devoirs alors que les cours n’ont pas encore repris, l’année s’annonce chargée.

Mes bagages récupérés sur le carrousel, je sors les biscottos et les pose sur le chariot que je pousse jusqu’au hall où m’attend mon chauffeur. Difficile de ne pas le repérer parmi la foule de voyageurs, car c’est le seul à tenir une immense pancarte décorée et notée « Bienvenue à Toronto mademoiselle Gracelyn Rowe. » Je me dirige aussitôt vers lui, un homme d’une cinquantaine d’années au visage jovial. Camden a vraiment tout prévu. C’est vraiment le meilleur des grands frères.

— Alors c’est toi Gracelyn ? me demande-t-il quand je me stoppe à sa hauteur.

— En chair et en os, rigolé-je.

— Très bien, je me charge du chariot et toi, tu me suis.

Il agrippe la poignée et d’un bon pas le tire jusqu’à l’extérieur comme s’il pesait une cacahuète.

— Installe-toi, je m’occupe de tout, m’invite-t-il en ouvrant ma portière.

Je lui souris et le remercie, puis il claque la porte. Je sens l’arrière de la voiture s’abaisser à chaque valise qu’il range dans le coffre. Par manque de place, la plus petite atterrit à mes côtés.

— Bah dis donc, tu ne voyages pas léger, jeune fille, me fait-il remarquer en s’installant derrière le volant. Laisse-moi deviner, étudiante ?

— Bien vu.

Le chauffeur est un vrai moulin à paroles, il me questionne et me parle de lui et de ses petits-enfants. Lorsqu’il me dépose devant l’immeuble où je vais résider, je connais presque toute sa vie. Un véritable bavard. Evie l’aurait adoré, moi j’aurais préféré profiter du trajet, le nez collé à la vitre, mais comme j’ai reçu une bonne éducation, j’ai participé à la conversation et puis ce monsieur est tellement sympathique. Pour preuve, il m’aide à glisser mes valises dans l’ascenseur.

— Jeune fille, l’amour va te tomber dessus alors même que tu ne le cherches pas. Tu verras, pouf, m’explique-t-il en imitant un objet chutant de haut. Comme ça. Allez, je file, je crois que je t’ai assez ennuyée avec mes histoires.

Je le regarde partir, un air pantois sur le visage. C’est quoi cette histoire d’amour ? Il est devin ? Non sûrement pas, il saute aux conclusions, rien de plus. Une demoiselle qui entre à l’université dans une nouvelle ville va forcément à un moment se trouver un mec. Mais, là où il se trompe, c’est que je me différencie des autres filles. Je ne cherche pas d’amoureux ni même de plan d’un soir. Je ne suis pas certaine d’avoir envie de nouer des relations amicales alors amoureuses, n’en parlons pas ! Je déplace les bagages au fond de la cabine et presse le bouton numéro trois. Arrivée sur le palier, je pousse mon barda à l’extérieur.

— Merde ! soufflé-je alors que je me retourne pour prendre la dernière, les portes se sont refermées.

J’appuie sur le bouton comme une folle pour les rouvrir, mais rien ne se produit. Pour cause, l’ascenseur monte.

Arg.… ça commence bien… je ne suis pas fichue de m’organiser. Je scrute les chiffres au-dessus de ma tête, priant pour que cette saleté de cabine redescende avec ma valise. Ouf la voilà qui revient. Un dong retentit et me dévoile les occupants. Un couple de personnes âgées qui fixe mon bagage comme s’il allait exploser.

— C’est à moi, leur apprends-je en entrant et en ressortant tout aussi vite sous leur regard ébahi. Pardon et bonjour, crié-je alors que les portes se referment déjà.

Me voilà au complet. Je pousse tout ce petit monde jusqu’au battant trois-cent-un qui cache mon logement. Un duplex que mon frère a tenu à payer. Il l’a acheté en prétextant que c’était un bon investissement.

Moi, ça me convient. En toute franchise, je ne voulais pas d’une chambre universitaire et pour voisine de chambre, une camarade avec laquelle je ne me serais peut-être pas entendue. Encore une fois, c’est bien pour Evie. Et cerise sur le gâteau, ces chambrettes sont des cages à lapins donc non merci. Même si je suis casanière, j’ai besoin d’espace. Je ressemble à une adolescente capricieuse, mais je n’en suis pas une. Si mon frère ne m’avait pas proposé cette offre, eh bien, j’aurais mis de l’eau dans mon vin et j’aurais fait comme beaucoup. Louer une chambre sur le campus.

Le bâtiment où je vis désormais se situe à deux rues de l’université et des commodités. L’emplacement est idéal et que dire de l’appartement ? Je le trouve grandiose et lumineux. Parfait avec son petit escalier en colimaçon que j’emprunte pour découvrir l’étage. Il donne sur une chambre offrant de beaux volumes et un bureau. Le mobilier est déjà installé. Waouh, mon frère n’a pas fait les choses à moitié ! Je l’aime, c’est vraiment le meilleur. Après avoir essayé le lit, je redescends pour visiter le reste.

En bas, une très grande fenêtre qui part du sol au plafond m’offre un aperçu de la ville. Je l’ouvre, pose mes pieds sur le balcon pourvu d’un salon sur lequel je m’assois. Le sourire aux lèvres, je contemple la vue qui me change de Vancouver. Certes, on y retrouve des espaces verts, mais ici, difficile d’observer les montagnes.

Pas de nostalgie. Je rentre, referme et poursuis le tour du propriétaire. La cuisine, bien qu’exiguë, semble fonctionnelle et petit détail non négligeable puisqu’il améliore mon confort, une machine à laver y est implantée. Génial ! Je n’aurai pas besoin de me rendre au Bubble shop. La salle de bains est équipée d’une grande douche dans laquelle deux personnes tiennent aisément.

Conclusion, j’adore cet appartement et je m’y sens déjà comme chez moi. Avant de défaire mes bagages, j’adresse quelques selfies à mon frère que je remercie chaleureusement et à mes parents pour leur annoncer que je suis bien installée. J’hésite à envoyer une photo à ma sœur et puis zut, je tente. Elle réplique aussitôt.

« Pas compliqué de fanfaronner en profitant de l’argent d’autrui ».

Je pâlis et ne prends même pas le temps de répondre à ses bassesses. Je laisse couler parce que oui, je suis bien logée, mais si les rôles avaient été inversés, elle n’aurait pas craché sur le confort. Quelle triple imbécile ! Cette fois, j’ai appris la leçon. Je n’initierai plus le premier pas, terminé !

Désormais, je prends soin de moi. D’ailleurs, je remets le rangement à plus tard. Je m’empare de mon iPad, m’installe douillettement sur le canapé, me couvre du plaid en pilou soigneusement plié sur l’accoudoir et j’entame un roman fantastique. Dans trois jours les cours démarrent et j’aimerais profiter du temps qu’il me reste pour lézarder, lire et jouer à la console que mon frère n’a pas manqué d’ajouter aux équipements.

Feuille d’érable contour

Bien reposée et l’esprit aéré, me voilà devant l’immense bâtisse qui ressemble presque à un château pour commencer mon année universitaire. Des attentes pour cette nouvelle vie ? Ne pas me perdre dans les couloirs, ça compte ?

Je fixe le flot d’étudiants qui se dirige vers l’entrée. Quelques-uns y vont d’un bon pas, d’autres se demandent pourquoi ils sont là, mais progressent malgré tout. Moi, j’observe cette petite fourmilière qu’ils forment, et qui, bon gré mal gré, fonce vers l’avenir. Je devrais les imiter, toutefois mes pieds refusent de coopérer et je reste figée sur le goudron. Au milieu du chemin, telle une statue, je gêne ceux qui plongent dans cette nouvelle aventure sans se poser la moindre question.

— Tu comptes y aller ? me demande une voix féminine à mes côtés.

Je tourne la tête et découvre à qui elle appartient. Je tombe sur une jeune fille aux cheveux bruns et au teint très hâlé comparé au mien. Une frange lui barre le front et cache ses sourcils. Épaisse, elle flirte avec ses paupières qui sont fardées en jaune soleil, soulignées par un trait argenté et un eye-liner noir. C’est original et met en valeur ses billes sombres. Elle porte un jean, des sneakers et un sweat à l’effigie de l’université. Tout ce qu’il y a de plus normal. Avec son maquillage, je m’attendais à une tenue plus sophistiquée.

— Nelly, se présente-t-elle en me souriant, mais tout le monde m’appelle Nell.

— Grace, rétorqué-je en reportant mon attention sur la bâtisse.

— L’an dernier, je me trouvais ici aussi ! Au même endroit, dans la même position, me demandant si j’avais fait le bon choix, m’explique-t-elle.

Je tourne de nouveau la tête vers elle.

— La réponse est oui… c’était l’une de mes plus belles années et j’espère que celle-ci le sera tout autant. Alors, qu’en penses-tu, on y va ?

Elle ne me presse pas, ne me force pas. Elle m’accorde le temps dont j’ai besoin. Evie m’aurait déjà poussée dans le dos et tirée par le bras. Que c’est agréable de ne pas être bousculée ! Je hoche la tête après quelques instants. Je serre les bretelles de mon sac et j’avance enfin. Nell reste à ma hauteur sans piper un seul mot. À l’intérieur, je sors de la poche de mon jean le plan du bâtiment. Je dois me rendre à l’aile Est. Autant avouer que je suis à moitié perdue. Heureusement, des fléchages au sol nous indiquent le chemin.

— Je vais à l’Est, l’informé-je.

— Eh bien, moi aussi, rétorque-t-elle toute guillerette.

— Euh… je pensais que les secondes années devaient se rendre à l’amphithéâtre.

Peut-être que le programme a changé. Pourtant je suis sûre de ne pas avoir reçu de mail. N’étant pas en seconde année, c’est peut-être logique.

— Ouais c’est le cas, mais je suis une première année, se marre-t-elle.

— Quoi ? Mais tu m’as dit que tu étudiais déjà ici l’an dernier.

— Je t’ai menti. Je t’ai observé un moment et tu n’avais pas l’air sûre de toi alors je suis venue à ta rescousse. Allez viens. L’aile Est nous attend et arriver en retard le premier jour ferait mauvais genre.

— Ouais et euh… merci. Je crois que j’avais besoin d’aide, lui confirmé-je.

C’est vrai, sans son intervention, je serais peut-être encore dehors.

— Pas de quoi. Au fait, tu étudies quelle matière ?

— Architecture et toi ?

— Les sciences. On ne partagera pas une table alors, mais si tu te sens seule et que tu souhaites une amie, voilà mon numéro.

Elle sort un stylo de sa veste et le note à l’intérieur de ma paume.

— Pourquoi tu l’as écrit sur ma main ? lui demandé-je, étonnée par son geste.

— Ainsi, je t’offre le choix. Soit, tu le rentres de toi-même dans ton téléphone, soit tu le laisses s’effacer, tu agis comme tu le sens.

Elle pose une main attentionnée sur mon bras.

— Je m’arrête ici. C’est ma salle. Au revoir Grace.

— Ouais à…

Je n’ai pas le temps de finir ma phrase qu’elle a déjà disparu. Était-ce un mirage, cette fille ? Non, son numéro est ancré sur ma peau. D’ailleurs, je le mémorise dans mon iPhone pour ne pas le perdre. Parce que Nell ne me pousse pas, je souhaite la revoir et découvrir où notre relation naissante va nous mener. J’ai promis à mon frère de ne pas rester seule et je compte bien tenir cette promesse, en m’accordant malgré tout, des moments de solitudes.

 

Chapitre 3

Dix jours que j’étudie à Toronto et doucement, je prends mes marques. Les cours ont démarré sur les chapeaux de roues et je croule déjà sous les devoirs, mais c’est bien. Me tenir occupée me permet de ne pas penser au reste.

Et par là, j’entends Evie qui ne m’a pas contactée et qui poste sur les réseaux sociaux des photos d’elle et d’une fille qu’elle a rencontrée, afin de me narguer. Les légendes parlent pour elle. Du style, « ma moitié, mon tout, ma sœur » et j’en passe. Mon cœur saigne chaque fois qu’elle apparaît sur mon écran en compagnie de Jenny que je ne peux pas supporter. Cette fille ne m’a rien fait pourtant, mais j’ai l’impression qu’elle me vole la place et c’est affreux ! Je ne devrais pas penser ça, car je sais que c’est faux ! Je reste persuadée qu’Evie l’utilise pour m’atteindre. Bravo à ma sœur diabolique qui réussit avec brio !

D’ailleurs, perdue dans mes pensées, je n’ai rien écouté du cours d’architecture. Quelle gourde ! Je ne devrais pas me laisser distraire par ces histoires. Je me fiche d’Evie, je me fiche d’Evie, me répété-je afin de le graver dans mon cerveau, en vain. La sonnerie retentit et je ferme mon livre et mon carnet de notes dont la page du jour demeure vierge. Je les fourre dans mon sac et quitte la salle de classe.

— Grace, on va au réfectoire, m’interpelle Nell, accompagnée de Zachary et Lucy, ses potes qui étudient en sciences avec elle.

Je n’ai pas eu besoin de rappeler Nell. Le lendemain de la rentrée, je l’ai recroisée et je lui ai adressé la parole. Miracle, dirait ma sœur qui revient constamment sur le tapis. Impossible de ne pas penser à ma jumelle. Grrr

Avec Nell, nous avons discuté des cours et comparé nos emplois du temps comme si nous étions de vieilles copines et ce constat m’a déridé et réchauffé le cœur. On s’est ensuite donné rendez-vous à la cafétéria où Zan et Lucy ont fini par nous rejoindre et avec lesquels j’ai accroché. Camden sera fier quand il apprendra que j’ai réussi à me faire des amis.

— Je règle un truc et je vous rattrape, crié-je pour me faire entendre du flot d’étudiants qui traverse le couloir.

Hésitante, je regarde les élèves de mon cours me passer devant en me focalisant sur leur expression avant de laisser tomber mon idée.

— Eh, t’es Grace Rowe, c’est bien ça ? m’arrête un étudiant en posant une main sur mon avant-bras.

— Ouais, répliqué-je en me tournant vers lui.

Le gars est rondouillard, avec une tête de premier de la classe. Son nez est chaussé de lunettes de forme circulaire qui appuient sur des joues légèrement rebondies et rosées. Je me rends compte qu’il se trouve dans ma promo.

— Désolé de te déranger… je… hum… bafouille-t-il en dansant sur ses pieds. Je pensais que tu serais venue me voir afin que nous discutions un peu de notre façon de travailler, mais tu t’es sauvée rapidement.

Éberluée et ne comprenant absolument rien à son baratin, je le fixe intensément. Ça m’apprendra de me laisser distraire.

— Pardon, monsieur Melton nous a casés ensemble sur le projet, m’explique-t-il en me souriant.

— Oh euh… eh bien… ravie de faire équipe avec toi alors, annoncé-je en lui rendant son sourire.

— J’ai déjà quelques idées et j’ai pensé qu’on pourrait se réunir plus tard dans la journée pour en discuter et mettre en place un plan d’action, s’excite-t-il subitement en faisant de grands gestes avec ses bras. La bibliothèque est ouverte jusque vingt-deux heures.

Super, je suis tombée sur l’intello de service ! Je suppose que nous allons charbonner afin de restituer le meilleur projet possible. Je ne sais pas si je dois me réjouir ou prendre peur. Certes, je suis là pour valider un diplôme, mais je ne veux pas mettre de côté mes loisirs. Je n’envisage pas que ma vie ne se résume qu’aux études. Je souhaite me divertir en lisant et je l’avoue en jouant aux jeux vidéo. Et peut-être sortir avec mes nouveaux amis, mais dans la limite du raisonnable, surtout que ça n’a jamais été dans mes habitudes ! Je suis casanière, pour me sortir de la maison Evie devait parfois me traîner.

— Ouais, d’accord, réponds-je laconiquement en activant le pas en direction de la cafétéria.

— Super, à ce soir Grace. Au fait, moi c’est Chandler et je suis impatient de travailler avec toi, s’enthousiaste-t-il avant d’opérer un demi-tour.

Je lui envoie un sourire qui ressemble plus à une grimace et je finis par me diriger vers la cafétéria. Un brouhaha s’élève autour de moi aussitôt que j’en pousse les portes. Plus de mille élèves s’y sont agglutinés afin de déjeuner et cela engendre une incroyable cacophonie qui me vrille les tympans. J’imagine que ce sera mon lot chaque fois que la météo se montrera capricieuse. Impossible de trouver mes amis dans cette fourmilière humaine donc j’envoie un message à Nell qui m’adresse les instructions.

— Tu en as mis du temps ma belle, me dit-elle en se collant à Lucy afin de me laisser de la place sur le banc.

— Ouais désolée, je devais voir un truc avec mon binôme.

— Non ! Un binôme ? Ça veut dire que Grace va enfin discuter avec des gens de sa classe ? me taquine Zan.

Zan, c’est un grand brun qui, avec sa barbe et ses yeux bleus, me fait penser à mon frère plus jeune lorsqu’il n’avait pas encore une carrure de mastodonte.

— Comme quoi tout finit par arriver, lancé-je en riant avant d’attraper mon déjeuner dans mon sac.

Une salade de haricots rouges, maïs et thon que j’ai confectionnée ce matin à l’arrache avant de quitter l’appartement.

— Trêve de plaisanterie, avant que tu débarques, on discutait d’une éventuelle sortie vendredi soir dans un club tendance du coin. Lucy est partante, moi aussi et Zach doit voir avec sa petite amie si elle nous accompagne. Ça te branche ? me demande Nell en remuant les épaules comme si elle y était déjà, bougeant au rythme de la musique qui doit rugir dans sa tête.

J’hésite, car si elles ont l’âge requis pour sortir et boire, c’est-à-dire dix-neuf ans, j’ai une année de moins. Je risque de me faire refouler en cas de contrôle d’identité. Si Evie m’entendait, elle me traiterait de poule mouillée. Je n’en suis pas une et pour lui donner tort, ouais, comme si je devais lui prouver quelque chose, je vais accepter et me convaincre que je peux vivre des choses sans elle.

— C’est d’accord, je vous suis, déclaré-je en y mettant une intonation heureuse.

— Ça va être dément ! s’écrie Nell toute guillerette. J’ai hâte de m’éclater en votre compagnie. Zan, ta meuf doit absolument nous accompagner, clame-t-elle en tapant sur la table, nous attirant les regards des autres étudiants.

Si je voulais me fondre dans la masse, avec Nell un tantinet folle sur les bords, c’est râpé. J’espère que vendredi, l’excitation sera descendue. Je n’ai pas envie de me faire remarquer par tous les clients du club dans lequel elle compte nous emmener.

Après le déjeuner, notre groupe se disperse. Enfin, c’est un bien grand mot, en réalité, je suis la seule à le délaisser puisque les trois autres étudient ensemble. Dans l’amphithéâtre, je m’installe tout en haut et cette fois, déterminée à ne pas quitter le cours sans avoir pris de notes, j’écoute avec attention le professeur d’histoire de l’architecture. Après le déjeuner, c’est compliqué de garder les yeux ouverts. Mais pourquoi nous ont-ils foutu ce cours en début d’après-midi ? Heureusement, les autres jours de la semaine seront consacrés aux ateliers ! Des manipulations à gogo qui vont me stimuler. Une heure plus tard, la sonnerie retentit, signalant la fin de l’heure et de mon ennui. J’espère qu’avec le temps, ça deviendra plus intéressant, car si je plane toutes les semaines, je risque des remontrances. Il me reste qu’une heure de mathématiques, matière qui m’a causé beaucoup de difficultés enfant, mais dans laquelle désormais je me défends plutôt bien.

En fin de journée, comme convenu, je retrouve Chandler à la bibliothèque qui me débite toutes les recherches et idées qu’il a pour notre projet. Eh bien, il n’a pas chômé et en l’écoutant je m’aperçois qu’il n’est pas juste étudiant, c’est un réel passionné de l’architecture qui maîtrise le sujet à la perfection.

— Dis-moi Chandler, que fais-tu en première année avec de telles connaissances ? lui demandé-je, sidérée par son résumé.

— Comme n’importe quel élève, je dois valider toutes les étapes du diplôme, me rapporte-t-il en haussant les épaules. Bon alors on s’y met ? J’aimerais quand même que tu m’apportes tes idées.

Mes idées ! C’est un rigolo lui, il a déjà exposé les siennes qui me paraissent incroyables. Je doute de pouvoir faire mieux. Pourtant, quand nous nous séparons devant la bibliothèque peu avant vingt heures, notre projet encore au stade de brouillon, comporte autant ses notions que les miennes.

— Je suis vraiment ravi de travailler avec toi Grace. Quoi que tu en penses, tu as du talent.

— Merci Chandler. On se voit demain. À plus, le salué-je.

Il part en direction des chambres universitaires et moi de la ville. Contre toute attente, j’ai réellement passé un agréable moment avec mon binôme. Ses connaissances m’ont permis d’avancer rapidement et cerise sur le gâteau, il m’a filé ses notes du matin afin que je ne prenne pas de retard. En fin de compte, moi qui m’imaginais ne pas réussir à me faire d’amis à cause de mon caractère introverti, je me surprends et c’est une bonne chose. J’ai des potes qui m’apprécient pour moi et non parce que je suis la sœur de Evie, la jumelle trop cool avec laquelle il faut impérativement traîner. Et aussi parce qu’ici, personne ne sait que Camden est mon frère. À Vancouver, beaucoup traînaient avec nous afin de pouvoir approcher la star du hockey. J’espère que je vais rester longtemps incognito surtout que les filles semblent apprécier le hockey puisqu’elles ne cessent de me parler du capitaine de l’équipe locale. Je nomme Evans Helms, coureur de jupons notoire et meilleur ami de mon frangin qui attire les filles comme les mouches.

 

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